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Mise à jour des perspectives de 2023 sur les céréales, les oléagineux et les légumineuses : pressions sur la rentabilité en raison d’une combinaison d’événements constituant une « tempête parfaite »

11 oct. 2023
12,5 min de lecture

Voici la troisième et dernière mise à jour du bulletin Perspectives de 2023 sur les récoltes dominantes publié en janvier. Au cours des deux prochaines semaines, nous mettrons à jour nos perspectives sur le secteur des produits laitiers et sur les secteurs bovin et porcin.

La marée a-t-elle commencé à descendre? Les trois dernières années ont été favorables aux agriculteurs canadiens : les années 2020 se sont caractérisées par des prix à la hausse et de fortes marges de bénéfice. Cependant, en raison des pressions exercées par la chute du prix des denrées, l’effet du climat sur le rendement des récoltes et l’augmentation des frais d’exploitation, l’année de récolte 2023-2024 s’annonce moins bonne. Notre mise à jour des perspectives en juillet signalait que les niveaux de stocks à l’échelle mondiale, les coûts des intrants, le climat et les perturbations géopolitiques constituaient des facteurs pouvant affecter la rentabilité et qui devaient être surveillés durant l’été. Maintenant que la plupart des récoltes sont rentrées, nous présentons leurs différents impacts sur les marges de bénéfice pour l’année qui vient.

Alors que les prix sont à la baisse, la sécheresse réduit la production au Canada

Tout au long de l’année de commercialisation 2022-2023, les prix moyens pour le canola et le blé de printemps ont diminué d’une année à l’autre, alors que les prix des autres récoltes dominantes continuaient d’augmenter (tableau 1). Au cours des trois mois écoulés depuis la publication de nos perspectives de juillet, l’évolution des prix a généralement dépassé nos prévisions. Les prix du maïs et du canola ont fléchi depuis lors, mais se situent encore au-dessus de leurs valeurs moyennes respectives sur cinq ans.

Les prix récents des récoltes demeurent supérieurs à leurs valeurs moyennes sur cinq ans, mais la plupart afficheront une réduction d’une année à l’autre. On prévoit que seuls les prix de l’orge fourragère, du blé dur et du blé de printemps s’amélioreront pendant la période couverte par les perspectives.

Tableau 1 : Diminution des prix en glissement annuel ($/tonne) de la plupart des nouvelles récoltes

Tableau présentant les prévisions de prix des grandes cultures établies par les Services économiques FAC pour les années de commercialisation 2021-2022, 2022-2023 et 2023-2024, et les valeurs moyennes sur cinq ans.

Sources : Statistique Canada, AAC, USDA, PDQ, CanFax, valeurs futures CME, MGEX et ICE, et calculs effectués par FAC.

Année de commercialisation du maïs et du soya : du 1er septembre au 31 août.
Année de commercialisation du blé, du canola, de l’orge, des pois et des lentilles : du 1er août au 31 juillet.

Même s’il n’a pas engendré des conséquences aussi graves que la sécheresse de 2021, le manque de précipitations dans l’Ouest du Canada a limité la production globale. Selon les évaluations du rendement des grandes cultures fondées sur des modèles publiées le 14 septembre par Statistique Canada, la production de chacune des grandes cultures a reculé d’une année sur l’autre, avec un déclin de 13 % de la production générale et une réduction de 8,3 % par rapport à la moyenne sur cinq ans. Dans l’Ouest, la production a diminué de 17,1 % d’une année à l’autre. Les rendements pour les céréales, les oléagineux et les légumineuses ont tous décliné en glissement annuel, même si on prévoit qu’ils seront meilleurs que ceux des récoltes de 2021. D’autre part, les rendements projetés du maïs et du soya sont marginalement supérieurs à ceux de l’année dernière, en raison des plus grandes superficies récoltées.

En 2021, alors que la production au Canada était encore plus limitée, les prix élevés et à la hausse des denrées ont contribué à augmenter les recettes des agriculteurs. Toutefois, en 2023, on observe une offre globale limitée dans un environnement de prix inférieurs, ce qui constitue une double pénalité sur le plan des revenus.

Les prix des intrants demeurent un facteur à considérer

La situation n’est guère meilleure pour l’autre portion de l’état des résultats. Alors que les prix des cultures fléchissent et que la production ralentit, il importe de surveiller les dépenses. L’effet des bonds marqués des prix des intrants qui ont affecté le secteur agricole s’atténue à mesure que les prix des engrais redescendent, après avoir atteint des sommets en 2022 (tableau 2). On prévoit que les prix des engrais continueront de diminuer jusqu’à la fin de l’année civile, avant de présenter une légère tendance haussière d’ici la période des semailles. Globalement, nous anticipons une amélioration pour l’année de récolte 2024-2025, à mesure que la tendance à la baisse des prix des intrants se stabilisera.

Tableau 2 : On prévoit que les changements dans les prix des intrants s’atténueront en 2024-2025, à mesure que les prix diminueront

Tableau montrant l’atténuation des prix des intrants de culture anticipée durant l’année de commercialisation 2023-24, comparativement aux prix des années 2020-2021 et 2021-2022.

Sources : prix des intrants de culture en Alberta, Banque mondiale, calculs effectués par FAC (* moyenne mobile).

Collectivement, ces trois facteurs se traduiront par une pression accrue sur la rentabilité des cultures en 2023-2024. Dans l’Est (rotation maïs-soya) et dans l’Ouest (rotation canola-blé), on prévoit que les marges de bénéfice diminueront, comparativement à leurs valeurs moyennes respectives sur cinq ans. La pression sur l’orge, le canola, les pois jaunes, le blé de printemps, le blé dur et les lentilles rouges sera plus forte que sur le blé d’hiver et le maïs de l’Est. Nous prévoyons que la production du soya demeurera rentable pendant toute la période couverte par les perspectives.

Les stocks mondiaux de maïs et de soya reculent; les stocks de blé et de canola demeurent limités

Les plus récentes prévisions de l’USDA (département de l’Agriculture des États-Unis) indiquent qu’à la fin de l’année 2023-2024, les stocks mondiaux de blé se situeront à leur plus bas niveau depuis 2015-2016. Le ratio stocks-utilisation continue de diminuer (figure 1).

Figure 1 : La croissance de l’utilisation totale de blé dépasse la croissance de la production

Graphique linéaire et en barres mixte montrant la production et l’utilisation totale de blé au cours des années de récolte 2017-2018 à 2023-2024 sous forme de graphique à barres, avec un graphique linéaire superposé montrant le ratio stocks-utilisation pendant la même période.

Source : USDA

La situation illustrée devrait s’accompagner d’une augmentation des prix du blé, mais les prix pour le blé de force rouge d’hiver [en anglais seulement] (la variété de blé la plus exportée par les États-Unis) se sont effondrés pour atteindre leur niveau le plus bas au cours des trois dernières années à la  mi-septembre. Ce phénomène est en partie attribuable aux récoltes records réalisées en Russie, le plus grand exportateur de blé au monde.

D’autres facteurs baissiers contribuent à faire tomber les prix du blé. L’Ukraine a réussi à faire naviguer des cargos sur la mer Noire et tente actuellement d’établir des routes d’exportation moins vulnérables aux agressions de la Russie. Les marchés semblent avoir déjà rajusté les prix pour tenir compte de l’incertitude propre à la région. La Turquie a enregistré des récoltes records et exporte plus de blé qu’anticipé. Il est possible que la qualité relativement moins bonne du blé provenant de pays en guerre ou ayant connu des conditions météorologiques défavorables contribue aussi à réduire les prix.

Même si les prix devaient augmenter, il n’y a qu’une quantité finie de blé au Canada. Les approvisionnements en date de septembre comprennent les plus faibles stocks de blé dur en fin d’année (2022-2023) jamais enregistrés et montrent une réduction d’une année sur l’autre de 30 % des récoltes en 2023-2024 en raison de la sécheresse affectant l’Ouest du Canada. Les stocks de blé autre que le blé dur pour l’année de récolte 2022-2023 ont été les deuxièmes plus faibles jamais comptabilisés, tandis que la production pour l’année 2023-2024 a été inférieure de 10 % d’une année à l’autre et inférieure de 2 % à la moyenne des cinq dernières années. En se fondant sur les prix inférieurs et la production limitée, on peut prévoir que les marges seront probablement serrées pour le blé d’hiver dans l’Est et subiront de plus fortes pressions pour le blé de printemps dans l’Ouest.

Maïs

Avec une augmentation de 10,2 % en glissement annuel de la production aux États-Unis, on prévoit que les stocks mondiaux de maïs en fin d’année seront supérieurs de 4,9 % en glissement annuel. Si ce n’était des faibles stocks mondiaux à la fin de l’année de commercialisation 2022-2023, les prévisions seraient encore plus élevées. On prévoit que la mise en production de nouvelles récoltes augmentera de 5,1 % d’une année à l’autre, alors que l’utilisation totale (utilisation intérieure et exportations) s’accroîtra de 3,5 % d’une année sur l’autre. Globalement, la production de céréales secondaires est également à la hausse comparativement à l’année précédente, avec une légère amélioration du ratio stocks-utilisation (figure 2).

Figure 2 : L’excellente récolte de maïs aux États-Unis en 2023 contribue à augmenter le ratio stocks-utilisation des céréales secondaires à l’échelle mondiale

Graphique linéaire et en barres mixte montrant la production et l’utilisation totale de céréales secondaires au cours des années de récolte 2017-2018 à 2023-2024 sous forme de graphique à barres, avec un graphique linéaire superposé montrant le ratio stocks-utilisation pendant la même période.

Source : USDA

Les stocks de report de maïs canadiens pour l’année 2022-2023 étaient à leur niveau le plus bas depuis 2014-2015. Cependant, compte tenu d’une augmentation sur douze mois des aires ensemencées et récoltées en 2023-2024, Agriculture et Agroalimentaire Canada (AAC) estime que la production est supérieure de 3 % en glissement annuel. Il ne fait aucun doute que les stocks de fin d’année en 2023-2024 sont supérieurs de 25 % à ceux de l’année précédente. Comme il est probable que les prix moyens fléchiront pour se rapprocher du plus récent prix moyen sur cinq ans, les revenus se situeront à un niveau voisin du seuil de rentabilité.

Soya

Comme indiqué dans notre mise à jour de juillet, les stocks mondiaux de soya n’augurent rien de bon pour les prix, à la suite des immenses récoltes réalisées au Brésil en 2022 et en 2023, qui s’accompagnent d’une augmentation correspondante du ratio stocks-utilisation (figure 3).

Figure 3 : Pressions exercées sur les prix du soya par l’augmentation du ratio stocks-utilisation

Graphique linéaire et en barres mixte montrant la production et l’utilisation totale de soya au cours des années de récolte 2017-2018 à 2023-2024 sous forme de graphique à barres, avec un graphique linéaire superposé montrant le ratio stocks-utilisation pendant la même période.

Source : USDA

Les importations records de la Chine (102,0 millions de tonnes) devraient entamer ces stocks et il est possible que la demande d’huile végétale à l’échelle mondiale excède les prévisions actuelles les plus élevées. Depuis le début de la saison chaude, en mai et juin, les prix de tous les produits oléagineux ont augmenté, alors qu’ils se situent généralement à leur niveau le plus bas de l’année [en anglais seulement] (octobre à septembre). On doit toutefois faire certaines mises en garde. Les prix en août étaient inférieurs à ceux de juillet et le prix moyen en 2022-2023 (octobre à août) est encore nettement inférieur à celui de l’année 2021-2022.

Pour l’année de commercialisation 2023-2024, AAC prévoit que l’offre totale augmentera de 2,6 %. Les prévisions indiquent que la production s’accroîtra d’une année à l’autre. Cependant, avec une augmentation de 6,7 % des exportations soutenue par une forte demande, les stocks de fin d’année reculeront à 300 000 tonnes. De plus, même si on prévoit que les prix au Canada diminueront de 4,2 % d’une année à l’autre, tout en se maintenant nettement au-dessus du prix moyen sur cinq ans, les revenus seront soutenus par le taux de change Canada-États-Unis. Les marges de bénéfice devraient continuer d’être positives au cours de la présente année de commercialisation.

Canola

On prévoit que la production mondiale de colza reculera au cours de l’année de commercialisation 2023-2024, alors que les prévisions indiquent que la production de canola au Canada diminuera de 7,1 % d’une année à l’autre. Même si l’offre totale au Canada ne connaîtra pas une diminution aussi marquée qu’à la suite de la sécheresse de 2021, on prévoit toutefois une réduction de 5,8 % en glissement annuel et une baisse de 11,6 % comparativement à la moyenne sur cinq ans. De plus, malgré un recul dans nos exportations et dans notre utilisation intérieure comparativement à l’année précédente, les prévisions montrent que les stocks de fin d’année chuteront de 33,6 %, ce qui contribuera à maintenir les prix à un niveau élevé cette année. La stimulation des prix du soya engendrée par la forte demande d’huile végétale à l’échelle mondiale se répercutera sur le canola, alors que les capacités de traitement au Canada et ailleurs dans le monde se développent.

Même si on prévoit qu’ils seront inférieurs aux hauts niveaux enregistrés l’année dernière, les prix du canola demeureront élevés et nettement supérieurs à leur valeur moyenne sur cinq ans.

Lentilles et pois

L’Inde, qui constitue habituellement le principal marché d’exportation de légumineuses du Canada, exercera cette année une influence démesurée sur les profits des producteurs canadiens de légumineuses. Ce pays doit relever des défis liés à la sécurité alimentaire alors que des élections se pointent à l’horizon. Les prix des denrées alimentaires y sont soumis à une forte inflation (9,9 %) et les faibles rendements intérieurs, attribuables à de mauvaises conditions météorologiques, ont entravé la production. Il est presque certain que l’Inde devra importer des matières premières alimentaires. Cependant, les gouvernements de l’Inde et du Canada sont encore aux prises avec une controverse politique qui menace d’exclure les denrées canadiennes du marché indien.

Il est impossible de déterminer actuellement si les tensions politiques entraîneront une détérioration des relations commerciales entre les deux pays. Cependant, le Canada est essentiellement l’unique fournisseur de lentilles vertes, dont la disponibilité est actuellement très limitée en Inde. Cela signifie que les lentilles canadiennes pourraient profiter d’un prix supérieur, alors qu’on prévoit que le ratio stocks-utilisation se situera à 9 % pour l’année de commercialisation 2023-2024. La situation des pois n’est pas meilleure à la suite des faibles précipitations enregistrées cette année, qui ont entraîné une baisse de la production de 33,6 % d’une année à l’autre avec une réduction anticipée de 24,7 % des stocks de report.

On prévoit une diminution des prix d’une année à l’autre en raison de l’incertitude liée à la demande. Même s’ils demeureront supérieurs à la moyenne sur cinq ans, les prix n’assureront pas complètement la rentabilité. Il est possible que certains exploitants affichent des pertes cette année.

En conclusion

Après plusieurs bonnes années, les producteurs de récoltes canadiens doivent traverser une « tempête parfaite ». En plus d’une diminution de production, les prix des récoltes se sont éloignés des sommets antérieurs. De plus, la prime associée à la guerre engagée par la Russie contre l’Ukraine a peut-être déjà été écoulée en entier.

Qu’on ne s’y trompe pas : la demande élevée à l’échelle mondiale et le dollar canadien bonifieront les revenus de la plupart des secteurs. Cependant, la réduction des prix et les risques de perturbations de la production liées aux conditions météorologiques exigeront la mise sur pied d’un robuste plan de gestion des risques.

Martha Roberts

Rédactrice économique

Membre de l’équipe des Services économiques depuis 2013, Martha Roberts est une spécialiste en recherche qui étudie les risques et les facteurs de réussite pour les producteurs agricoles et les agroentreprises. Martha compte 25 années d’expérience dans la réalisation de recherches qualitatives et quantitatives et la communication des résultats aux spécialistes de l’industrie. Elle est titulaire d’une maîtrise en sociologie de l’Université Queen’s à Kingston, en Ontario, et d’une maîtrise en beaux-arts en écriture non fictive de l’Université de King’s College.