L’économie canadienne devrait ralentir en 2026

Après avoir abaissé son taux du financement à un jour à 2,25 % en octobre dernier, la Banque du Canada soutient que son taux directeur est désormais « essentiellement au niveau approprié ». Les marchés se sont ralliés à l’argument de la banque centrale et ne s’attendent pas à des baisses du taux directeur pour l’ensemble de l’année à venir. Compte tenu des risques baissiers importants qui pourraient aggraver le ralentissement économique prévu pour 2026, ce scénario nous semble incertain. Dans cette édition de la Mise à jour sur l’économie et les marchés financiers, nous nous pencherons plus en détail sur cette question et tenterons d’expliquer les répercussions potentielles de la situation sur l’inflation, les taux d’intérêt et le dollar canadien.
Les ajustements à la hausse du PIB renforcent les projections pour 2025, mais la faiblesse du passage à 2026 suscite des inquiétudes
Grâce à des révisions à la hausse des données historiques et à une augmentation plus importante que prévu au troisième trimestre, le Canada estime maintenant la croissance de son PIB à environ 1,7 % en 2025. C’est environ un demi-point de pourcentage de plus que les prévisions initiales de la majorité des spécialistes, y compris les nôtres et celles de la Banque du Canada. Toutefois, c’est ici que les bonnes nouvelles s’arrêtent.
Une lecture approfondie du rapport du PIB du troisième trimestre révèle un affaiblissement des fondamentaux économiques. En effet, la majeure partie de la croissance annualisée de 2,6 % enregistrée au dernier trimestre est attribuable à l’effondrement des importations. Rappelons que le PIB est calculé en prenant la demande intérieure, en y ajoutant les exportations et en soustrayant les importations. Par conséquent, lorsque les importations chutent, le PIB a tendance à augmenter. La contraction de la demande intérieure est l’une des raisons pour lesquelles les importateurs se sont retirés au cours du dernier trimestre.
En effet, les dépenses de consommation ont chuté au troisième trimestre pour la première fois depuis 2021 en raison d’un effritement de l’emploi qui a limité les revenus disponibles. Les investissements des entreprises ont également diminué au troisième trimestre, prolongeant un déclin qui avait commencé plus tôt dans l’année, avant même la mise en œuvre des tarifs douaniers américains. Un autre signal d’alarme est la probabilité d’un passage difficile entre le quatrième trimestre et le début de l’année suivante, après que l’estimation provisoire du PIB d’octobre de Statistique Canada ait révélé une forte baisse. Cette faiblesse devrait se poursuivre en 2026, surtout si des obstacles au commerce demeurent en place.
Les problèmes commerciaux persistent, sans solution en vue
De toute évidence, la guerre commerciale menée par les États-Unis pèse lourdement sur l’économie canadienne. Les exportations de produits non énergétiques ont fortement chuté depuis l’entrée en vigueur des tarifs douaniers américains en avril dernier (figure 1). Si la majorité de nos exportations sont conformes à l’Accord Canada–États-Unis–Mexique (ACEUM) et, par conséquent, exemptées des tarifs douaniers réciproques de 35 %, les industries clés, y compris l’automobile, l’acier, l’aluminium, le cuivre et la foresterie, continuent de faire l’objet de tarifs douaniers aussi élevés que 50 %. Ces tarifs sectoriels dépassent la portée actuellement étudiée par la Cour suprême des États-Unis. Ainsi, si cette dernière en venait à confirmer l’illégalité des tarifs réciproques de la Maison-Blanche, les industries susmentionnées ne bénéficieraient probablement pas d’un répit immédiat.
Même les exportateurs de produits conformes à l’ACEUM subiront des pressions l’an prochain si, comme nous nous y attendons, la croissance du PIB américain ralentit. Par ailleurs, à mesure que l’effet de la vague d’investissements en intelligence artificielle s’estompera, les failles causées par les politiques de la Maison-Blanche en matière de tarifs et d’immigration deviendront plus apparentes aux États-Unis. La hausse du taux de chômage aux États-Unis, qui a atteint son plus haut niveau en quatre ans, n’est qu’un avant-goût de ce qui nous attend. Malgré les efforts de diversification du Canada, les États-Unis achètent encore plus de 70 % de nos produits; toute baisse de la demande américaine aurait donc des répercussions de ce côté-ci de la frontière. Par conséquent, les volumes d’exportation du Canada devraient demeurer faibles l’an prochain, particulièrement en raison des secteurs touchés par les tarifs douaniers comme les métaux et les produits forestiers, ce qui pourrait compenser encore une fois toute augmentation pour les producteurs d’énergie.
Figure 1 : La guerre commerciale américaine frappe les exportateurs canadiens

* Les exportations totales proviennent des comptes nationaux du T3, tandis que les exportations d’énergie et de produits non énergétiques sont estimées à l’aide des données commerciales de juillet et d’août.
Sources : Statistique Canada, Services économiques FAC
La demande intérieure est sous pression
La situation de l’économie nationale est peut-être ce qu’il y a de plus inquiétant pour le Canada. La consommation, qui représente environ 60 % du PIB, semble plus vulnérable que jamais dans un contexte de faible croissance démographique, de marché du travail difficile et d’endettement record. Il est peu probable que le fardeau du service de la dette, qui accapare déjà plus de 14 % du revenu disponible des ménages, s’allège considérablement, puisque bon nombre de ménages devront renouveler leur hypothèque en 2026 à des taux plus élevés que ceux obtenus à l’origine. Selon la Banque du Canada, le paiement mensuel moyen d’un prêt hypothécaire sera de 6 % supérieur au niveau de décembre 2024 pour les ménages qui renouvelleront leur prêt l’année prochaine. Or, pour les ménages qui renouvellent leur prêt hypothécaire à un taux fixe de cinq ans (le produit le plus populaire au Canada), l’augmentation des paiements sera de près de 20 %, ce qui grugera leur pouvoir d’achat (figure 2).
Figure 2 : De nombreux ménages devront faire face à des paiements plus élevés après le renouvellement de leur hypothèque en 2026

Sources : Banque du Canada, Services économiques FAC
Le marché de l’habitation subit également la pression des taux d’intérêt élevés. Les prix de revente des maisons (moyenne nationale des logements existants) ont de nouveau baissé cette année, prolongeant une baisse entamée en 2023. Cette situation complique l’intégration des nouvelles constructions au marché, puisque leur prix est souvent plus élevé que celui des maisons existantes. Le resserrement des normes de prêt, l’augmentation du coût des matériaux et les restrictions de zonage (en particulier dans les centres urbains) compliquent encore davantage les choses pour les constructeurs. Il n’est donc pas étonnant que l’indice du marché du logement de l’Association canadienne des constructeurs d’habitations ait atteint un niveau record au troisième trimestre, tant pour les maisons unifamiliales que pour les logements collectifs. Ce n’est pas de bon augure pour les perspectives de 2026 dans le secteur résidentiel, qui représente une part considérable de l’économie (environ 8 % du PIB).
La construction non résidentielle et, de façon plus générale, l’investissement des entreprises ne semblent pas très prometteurs à l’approche de 2026, en raison des incertitudes liées au commerce, des avantages fiscaux américains (qui attirent les capitaux étrangers vers les États-Unis) et des défis prévus pour les profits des sociétés. Selon la dernière enquête de la Banque du Canada sur les perspectives des entreprises, le solde des opinions relatif aux intentions d’investissement dans les douze prochains mois est nettement inférieur à la moyenne à long terme. Ce sondage, qui porte sur un échantillon d’environ 100 entreprises, ainsi qu’un sondage plus vaste mené par la Fédération canadienne de l’entreprise indépendante (FCEI) auprès de plus de 600 petites entreprises, souligne une confiance historiquement faible des entreprises au Canada, ce qui soulève des doutes quant à une reprise rapide des dépenses d’investissement (figure 3).
Figure 3 : La très faible confiance des entreprises n’est pas de bon augure pour la reprise des investissements

Sources : Banque du Canada, Fédération canadienne de l’entreprise indépendante, Services économiques FAC
Il est vrai que le gouvernement fédéral se montre à la hauteur avec des projets publics ambitieux qui ont le potentiel de relancer l’investissement des entreprises privées. Les investissements en capital à grande échelle ne sont toutefois pas aussi simples qu’ils en ont l’air, et si l’histoire se répète, les décaissements pourraient prendre plus de temps que prévu. Le directeur parlementaire du budget a récemment mis en lumière la manière dont les fonds publics alloués peuvent parfois être inutilisés, en citant notamment l’exemple de la Banque d’infrastructure et du ministère de la Défense nationale. Ainsi, même si les dépenses d’investissement des entreprises finiront par rebondir, stimulées par le gouvernement fédéral et une plus grande clarté entourant l’ACEUM (dont la révision débutera le 1er juillet), nous estimons que ses effets devraient se faire sentir surtout en 2027 ou 2028, plutôt que sur le PIB de 2026.
Dans l’ensemble, si l’on tient compte des deux défis tant au pays que sur la scène internationale, nous nous attendons à ce que la croissance réelle du PIB canadien ralentisse considérablement pour atteindre environ 1,2 % en 2026.
Répercussions sur les taux d’intérêt et le dollar canadien
Ce serait inférieur à la croissance potentielle du PIB estimée de l’économie, ce qui signifie que l’écart de production (ou l’offre excédentaire) se creusera. En d’autres termes, on devrait voir l’inflation ralentir en 2026. On constate déjà les effets de l’offre excédentaire sur les prix sur le marché du travail, avec la baisse du taux de postes vacants qui permet au taux de croissance annuel des salaires et traitements (selon les comptes nationaux) de chuter à seulement 3,1 % au troisième trimestre, soit le plus bas niveau enregistré depuis 2020. Cette tendance à la baisse devrait se poursuivre jusqu’à l’année prochaine, puisque les taux de postes vacants continuent de baisser en raison de la réticence des entreprises à embaucher dans un contexte économique difficile.
La Banque du Canada a déclaré que son taux de financement à un jour de 2,25 % est maintenant « essentiellement au niveau approprié », et les marchés ont adhéré à ce discours, les swaps indexés sur le taux à un jour confirmant que les investisseurs ne s’attendent pas à ce que le taux directeur baisse au cours de l’année prochaine. Mais si, comme nous le prévoyons, la croissance économique subit un ralentissement marqué, la banque centrale devra réduire les taux d’intérêt réels (le taux de financement à un jour moins l’inflation) en dessous de zéro pour éviter d’aggraver le ralentissement économique. Pour y parvenir, nous estimons que le taux de financement à un jour devra chuter à environ 1,50 % d’ici la fin de 2026.
Cette situation devrait entraîner une diminution du segment court de la courbe de rendement au Canada, mais nous n’anticipons pas de baisse significative du segment à long terme, sauf en cas de récession manifeste. Comme nous l’avons expliqué dans une publication précédente de la Mise à jour sur l’économie et les marchés financiers, les obligations canadiennes sont fortement corrélées avec les bons du Trésor américain, et les rendements de ces derniers sont maintenus à un niveau élevé, car les investisseurs exigent une prime plus importante pour les dédommager des risques plus élevés découlant de la détérioration des finances publiques américaines.
Compte tenu de ces perspectives, le dollar canadien ne semble pas offrir un potentiel de hausse importante en 2026. Même si le huard bénéficie de la faiblesse généralisée du dollar américain, il demeure pénalisé par un désavantage en matière de rendement par rapport aux États-Unis (figure 4). Les difficultés commerciales pèsent également sur la monnaie en réduisant les revenus d’exportation, en limitant la demande de dollars canadiens et en augmentant le déficit du compte courant, ce dernier étant en voie de dépasser 1,5 % du PIB en 2025. Il s’agit de la 17e année consécutive de déficit pour la mesure la plus large du commerce extérieur du Canada, et cette série de résultats négatifs devrait se poursuivre l’an prochain, surtout si la guerre commerciale menée par les États-Unis se poursuit. En résumé, bien qu’il soit toujours difficile de faire des prévisions sur les devises en raison des dynamiques complexes en jeu sur le marché des changes, une fourchette de 72 à 74 cents américains pour le huard semble raisonnable pour 2026 étant donné la trajectoire prévue pour les taux d’intérêt aux États-Unis et au Canada.
Figure 4 : Le dollar canadien est freiné par un désavantage en matière de rendement

Sources : Banque du Canada, Fédération canadienne de l’entreprise indépendante, Services économiques FAC
Résumé des prévisions concernant les principales variables économiques

Sources : Bloomberg, Services économiques FAC

Krishen Rangasamy
Directeur, Services économiques et économiste principal
Krishen Rangasamy est directeur, Services économiques et économiste principal à FAC. Grâce à ses perspectives et à son leadership, il contribue à orienter la recherche sur des sujets liés à la macroéconomie et à l’agriculture, recherche que FAC et ses clients externes utilisent pour étayer leurs stratégies et surveiller le risque.
Avant son arrivée à FAC en 2023, Krishen a été spécialiste de la macroéconomie pendant plus de 15 ans sur Bay Street, notamment au sein de deux grandes banques canadiennes, où il a conseillé des négociateurs en bourse et a aidé à diriger des travaux de recherche et de prévision économiques. De plus, il donnait régulièrement ses commentaires judicieux à propos des marchés financiers sur d’importantes chaînes de télévision spécialisées dans les affaires, de même que dans la presse écrite. Avant d’œuvrer dans les services bancaires d’investissement, Krishen a travaillé comme analyste du secteur énergétique dans l’Ouest canadien. Il a obtenu sa maîtrise ès arts en économie à l’Université Simon-Fraser.
