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Quels sont les facteurs qui déterminent les taux d’intérêt au Canada?

4 juin 2025
9 min de lecture
A bar chart showing rising interest rates overlayed on a picture of a computer.

Les taux d’intérêt à long terme sont en hausse malgré deux réductions du taux du financement à un jour par la Banque du Canada (BdC) depuis le début de l’année, ce qui indique que des facteurs autres que le taux directeur de la banque centrale influencent les coûts d’emprunt. Dans ce rapport, nous soulignons les facteurs qui influencent les taux d’intérêt à long terme au Canada, ce qui peut être utile pour les millions de ménages et d’entreprises qui devront décider de leurs produits d’emprunt lors des prochains renouvellements de prêts. Nous présentons aussi des prévisions économiques actualisées qui tiennent compte des répercussions de la guerre commerciale des États-Unis sur le Canada. 

Les perspectives économiques s’assombrissent 

Bien que l’économie canadienne n’ait cessé de croître au premier trimestre, il y a lieu de s’attendre à une forte décélération au cours des prochains trimestres. Les stocks se sont considérablement accumulés au dernier trimestre, ce qui n’est pas favorable à la production à l’avenir. En outre, les incertitudes liées à la guerre commerciale des États-Unis sont susceptibles de peser sur le commerce et l’investissement des entreprises – le déclin probable de ce dernier n’est pas de bon augure pour la croissance de la productivité et donc pour le potentiel de l’économie à long terme.  

La durabilité de la croissance des dépenses de consommation (qui représentent environ 60 % du PIB) est également préoccupante. Le marché du travail, qui s’essouffle déjà comme en témoigne l’augmentation du taux de chômage, devrait continuer à se détériorer parallèlement au ralentissement de la croissance du PIB. On peut donc s’attendre à ce que le revenu disponible des ménages et, par conséquent, la consommation soient limités. En d’autres termes, les perspectives économiques se sont assombries en raison de la guerre commerciale avec les États-Unis, et nous avons donc révisé à la baisse nos prévisions de croissance du PIB canadien pour 2025, à 1,1 %. 

Si ces nouvelles prévisions se confirment, il s’agirait du pire taux de croissance annuel depuis 2016, si l’on exclut la récession liée à la COVID-19 en 2020. Cela signifie aussi que l’écart de production (ou l’offre excédentaire) se creusera, ce qui atténuera la résilience actuelle du taux d’inflation de base durant la seconde moitié de 2025 et en 2026, donnant ainsi à la BdC des raisons de plus d’abaisser les taux d’intérêt. Il ne serait pas surprenant que le taux du financement à un jour, qui est resté inchangé à 2,75 % en avril et en juin, s’établisse en dessous de la fourchette estimée pour le taux neutre (de 2,25 % à 3,25 %) d’ici la fin de l’année.  

Ainsi, le désavantage en matière de rendement (le taux directeur de la Réserve fédérale des États-Unis moins le taux directeur de la BdC) pourrait encore s’accroître cette année. Dans ce contexte, le dollar canadien, qui a récemment atteint 73 cents américains, pourrait avoir du mal à poursuivre son ascension, notamment en raison de la faiblesse des indicateurs économiques fondamentaux, tant au pays qu’à l’étranger – rappelons que la faible croissance du PIB mondial, attribuable à la guerre commerciale des États-Unis et au ralentissement du commerce mondial qui en découle, nuit aux produits de base.  

Les taux à long terme au Canada dépendent de l’évolution de la situation aux États-Unis

On ne sait pas si les taux d’intérêt à long terme suivront une trajectoire semblable à celle du taux du financement à un jour de la BdC. Ce n’est certainement pas le cas depuis avril; en effet, le taux du financement à un jour est resté stable, tandis que les rendements des obligations de cinq et de dix ans (et donc les taux fixes à long terme établis par les banques commerciales) ont augmenté, ce qui souligne l’influence limitée de la banque centrale sur les coûts d’emprunt à long terme (figure 1).   

Figure 1. Les rendements des obligations du gouvernement du Canada à 5 ans en hausse malgré les baisses de taux de la Banque du Canada 

Graphique linéaire illustrant la hausse du rendement des obligations du gouvernement du Canada à 5 ans.

Source : Banque du Canada

En effet, les obligations canadiennes ont tendance à être davantage influencées par la dynamique du marché obligataire des États-Unis, comme le montre la forte corrélation entre les rendements des obligations canadiennes et américaines (figure 2). En d’autres termes, pour prévoir les taux canadiens à long terme, il est utile de comprendre la direction que prennent les obligations du gouvernement américain.  

Figure 2. Les obligations canadiennes sont fortement corrélées aux obligations américaines

Diagramme à barres montrant des coefficients de corrélation élevés entre les rendements obligataires canadiens et américains.

Sources : Banque du Canada, Réserve fédérale des États-Unis, Services économiques FAC

Les taux d’intérêt à long terme aux États-Unis sont composés de deux éléments 

Pour comprendre les mouvements du marché obligataire américain, il est important de comprendre que le taux à long terme est composé de deux éléments, tous deux déterminés par le marché.  

Rendement des obligations du gouvernement américain = Attentes concernant l’évolution future des bons du Trésor à court terme + Prime à terme 

La première composante correspond aux attentes concernant l’évolution future des bons du Trésor à court terme. Les investisseurs pourraient choisir d’acheter un bon du Trésor de 3 mois et de réinvestir le produit après trois mois dans un autre bon du Trésor de 3 mois (processus appelé transfert) et continuer à le faire pendant plusieurs années. Ainsi, pour qu’un investisseur envisage d’acheter, par exemple, une obligation de dix ans, il exigera au minimum le rendement qu’il s’attendrait à obtenir en renouvelant des bons à court terme sur dix ans. Il n’est pas surprenant que le principal facteur influençant cette première composante soit le taux directeur de la Réserve fédérale, c’est-à-dire le taux des fonds fédéraux, car c’est ce dernier qui détermine les taux à court terme comme les bons du Trésor.  

Ainsi, les variables macroéconomiques qui guident le taux des fonds fédéraux (par exemple, l’inflation, le PIB, l’emploi et le taux de chômage aux États-Unis) influenceront cette première composante des taux d’intérêt à long terme. La croissance du PIB des États-Unis, qui s’est établie en moyenne à un solide 2,8 % au cours des deux dernières années, devrait non seulement ralentir fortement en 2025, mais aussi se situer bien en deçà de l’estimation de 2,3 % du Congressional Budget Office pour la croissance potentielle. En temps normal, une croissance inférieure au potentiel se traduirait par une baisse de l’inflation. Toutefois, en raison des tarifs douaniers (qui augmentent le coût des marchandises importées aux États-Unis), l’inflation américaine pourrait demeurer problématique dans l’immédiat, même s’il y a une capacité excédentaire de l’économie. C’est pourquoi nous pensons que la Réserve fédérale limitera ses mesures de relance à des baisses de taux d’intérêt de 50 points de base au cours du second semestre. Cela pourrait exercer une pression à la baisse sur l’ensemble de la courbe des taux, sans toutefois garantir une baisse des taux à plus long terme.  

Cette situation s’explique par la deuxième composante du taux à long terme, ce qu’on appelle la « prime à terme ». La prime à terme est essentiellement la compensation supplémentaire exigée par les investisseurs pour les risques associés aux prêts à l’État pour des périodes plus longues – risques qui peuvent découler de l’incertitude liée à l’inflation, de la volatilité des taux d’intérêt et des changements macroéconomiques. La prime à terme n’est pas directement observable, mais elle peut être estimée à l’aide de modèles financiers et macroéconomiques, le plus utilisé étant celui élaboré par les économistes de la Réserve fédérale des États-Unis, Adrian, Crump et Moench (ACM). 

Pourquoi la « prime à terme » est-elle si importante?

En examinant les données remontant jusqu’en 1970, nous avons constaté que, pendant les récessions aux États-Unis, la prime à terme selon le modèle d’ACM était en moyenne d’environ 75 points de base plus élevée que pendant les périodes sans récession. Ce résultat n’est pas surprenant, étant donné que les détenteurs d’obligations réclament une prime lorsqu’ils font face à davantage d’incertitude ou de fluctuations sur les marchés. 

Cette année, en raison de l’évolution de la politique commerciale et fiscale aux États-Unis, les inquiétudes ont augmenté au sujet du PIB et de l’emploi, mais aussi du déficit budgétaire des États-Unis, ce qui a poussé les investisseurs à exiger une compensation pour les risques supplémentaires liés à l’achat de titres d’emprunt du gouvernement des États-Unis. En effet, la prime à terme, selon le modèle d’ACM, a atteint 75 points de base en mai, son niveau le plus élevé depuis 2014 (figure 3).  

Figure 3. La prime à terme est à son niveau le plus élevé depuis 2014

Graphique linéaire montrant que la prime à terme sur l’obligation du gouvernement des États-Unis à dix ans s’est envolée au cours des derniers mois.

Source : Réserve fédérale des États-Unis

Outre la guerre commerciale des États-Unis, le débat sur le plafond de la dette américaine sera aussi déterminant pour l’évolution de la prime à terme au cours des prochains mois. Le plafond de la dette sera relevé ou suspendu afin de permettre au gouvernement fédéral des États-Unis de financer ses obligations et d’éviter un défaut de paiement catastrophique. Mais si les marchés estiment que le Congrès américain n’en fait pas assez pour s’attaquer au déficit budgétaire massif, d’autres déclassements de la dette publique des États-Unis par les agences de notation sont possibles, ce qui pourrait inciter les investisseurs à exiger une prime à terme encore plus élevée. 

On ne sait pas combien de temps il faudra pour que la prime à terme revienne à sa moyenne des 15 dernières années, qui est d’environ zéro. Toutefois, lorsque cela se produira, il faudra porter attention aux effets désinflationnistes d’une capacité excédentaire qui augmente dans l’économie (et aux attentes correspondantes d’une trajectoire baissière pour les bons du Trésor à court terme), ce qui entraînera une diminution des rendements américains à long terme. Étant donné la forte corrélation avec les rendements obligataires américains, les rendements à long terme canadiens (et donc les taux hypothécaires fixes au Canada) devraient suivre une trajectoire semblable. 

En conclusion 

La récente hausse des taux d’intérêt à long terme au Canada est principalement liée à l’évolution du marché obligataire américain. Les incertitudes grandissantes, notamment en ce qui a trait à la croissance du PIB des États-Unis, à l’inflation et aux finances publiques, pourraient faire grimper davantage la prime à terme sur les obligations du gouvernement américain, maintenant les taux à long terme à un niveau élevé pendant encore quelques mois de part et d’autre de la frontière, au grand dam des emprunteurs. Ainsi, il ne serait pas surprenant que le rendement des obligations de cinq ans du gouvernement du Canada, qui se situe actuellement autour de 2,80 %, dépasse les 3 % au cours des prochains mois. 

Toutefois, la prime à terme sur les obligations du gouvernement américain finira par se résorber à mesure que la dynamique susmentionnée s’estompera. Nous nous attendons à ce que cela se produise d’ici 2026, comme le montre notre prévision de baisse des rendements obligataires à long terme l’année prochaine. 

Résumé des prévisions concernant les principales variables économiques 

Un tableau présentant les données historiques et les prévisions pour la croissance du PIB, l'inflation et les taux d'intérêt au Canada et aux États-Unis, ainsi que pour le dollar canadien.

Sources : Bloomberg, Services économiques FAC

Krishen Rangasamy

Directeur, Services économiques et économiste principal

Krishen Rangasamy est directeur, Services économiques et économiste principal à FAC. Grâce à ses perspectives et à son leadership, il contribue à orienter la recherche sur des sujets liés à la macroéconomie et à l’agriculture, recherche que FAC et ses clients externes utilisent pour étayer leurs stratégies et surveiller le risque.

Avant son arrivée à FAC en 2023, Krishen a été spécialiste de la macroéconomie pendant plus de 15 ans sur Bay Street, notamment au sein de deux grandes banques canadiennes, où il a conseillé des négociateurs en bourse et a aidé à diriger des travaux de recherche et de prévision économiques. De plus, il donnait régulièrement ses commentaires judicieux à propos des marchés financiers sur d’importantes chaînes de télévision spécialisées dans les affaires, de même que dans la presse écrite. Avant d’œuvrer dans les services bancaires d’investissement, Krishen a travaillé comme analyste du secteur énergétique dans l’Ouest canadien. Il a obtenu sa maîtrise ès arts en économie à l’Université Simon-Fraser.