L’agriculture canadienne peut-elle faire face aux perturbations des échanges commerciaux et des chaînes d’approvisionnement?

Les chaînes d’approvisionnement mondiales demeurent en alerte en raison de l’évolution de la politique commerciale américaine. L’imposition, puis la réduction des tarifs douaniers américains sur les marchandises chinoises perturbent les réservations de navires et le réacheminement des cargaisons, ce qui aggrave les problèmes liés au conflit en mer Rouge, notamment le détournement des navires autour de l’Afrique. La situation suscite de vives préoccupations chez les importateurs et les exportateurs quant à la congestion dans les ports, à l’instabilité des tarifs de transport, à l’entreposage excessif, aux achats motivés par la panique et à l’imprévisibilité des opérations logistiques et des coûts. Ces défis pourraient en effet nuire aux résultats des importateurs et des exportateurs canadiens de produits agricoles. Toutefois, nous soulignons dans ce rapport que des possibilités existent pour ceux qui peuvent s’adapter à cette évolution rapide du commerce mondial.
Contexte actuel et enseignements tirés
Au cours de la dernière année, les tarifs du fret ont réagi de façon inégale aux perturbations du commerce mondial. Les tarifs du transport maritime par conteneurs ont été très sensibles aux changements de politique commerciale et à la demande des consommateurs, tandis que les tarifs du fret en vrac sec sont restés plus stables, en raison d’une demande constante et axée sur les produits de base, tels que les produits agricoles (figure 1).
Figure 1. Tendances des tarifs de fret maritime dans un contexte de perturbations de la chaîne d’approvisionnement mondiale

Sources : Bloomberg, Services économiques FAC
Une réduction temporaire de 90 jours des tarifs douaniers entre les États-Unis et la Chine (p. ex. 30 % sur les produits chinois et 10 % sur les produits américains) a entraîné une hausse ponctuelle de l’activité maritime mondiale, les importateurs s’empressant de devancer leurs commandes de Noël, qui sont habituellement passées entre août et octobre. L’indice des conteneurs de Shanghai a augmenté de 40 % depuis la mi-mai et devrait poursuivre sa tendance à la hausse. Cet afflux risque de surcharger le système, ce qui rappelle l’accumulation de stocks sous l’effet de la panique lors de la pandémie.
La pandémie a mis en évidence des vulnérabilités critiques dans les chaînes d’approvisionnement mondiales, entraînant des pénuries généralisées de produits essentiels et incitant à réévaluer le modèle de livraison de stock juste à temps. Face à l’incertitude qui règne actuellement dans le commerce international, les entreprises s’adaptent en constituant des stocks, en explorant de nouveaux marchés et en ajustant leurs stratégies d’expédition pour réduire les risques. Ces changements ont une incidence particulièrement importante sur l’agriculture, où la stabilité de la logistique et la prévisibilité des coûts sont essentielles à la résilience et à la compétitivité à long terme.
Répercussions sur l’agriculture canadienne
Le secteur agricole canadien est étroitement lié aux échanges commerciaux mondiaux, où les États-Unis et la Chine occupent une place déterminante. Les États-Unis constituent une référence pour l’établissement des prix agricoles; le marché du soya illustre bien cette réalité, puisque la Chine en est le premier acheteur mondial, absorbant habituellement plus de 60 % des importations mondiales. Ainsi, lorsque la Chine modifie la quantité qu’elle achète aux États-Unis, elle affecte le prix des oléagineux canadiens. Si la Chine décide d’en acheter davantage en Amérique du Sud, la demande de soya américain diminuera, ce qui pourrait entraîner une baisse des prix.
Lorsque les tarifs douaniers étaient à leur sommet, les échanges entre les États-Unis et la Chine ont essentiellement été interrompus, ce qui a eu une incidence sur les flux agricoles mondiaux. Les producteurs canadiens, qui dépendent de la stabilité des routes commerciales et de prix concurrentiels, ont été confrontés à une incertitude accrue. Le degré de vulnérabilité de la chaîne d’approvisionnement dépend de la diversification des échanges de chaque secteur agricole canadien. Les exportateurs et les importateurs font preuve d’une prudence croissante, accumulant des marchandises et reportant les expéditions afin de se protéger contre d’éventuelles perturbations.
Il y a de bonnes nouvelles pour cette campagne agricole, car les ventes à l’exportation de céréales américaines ont dépassé les niveaux de l’année dernière. Toutefois, ce sont les ventes à terme de la nouvelle récolte (celle qui vient d’être semée) pour 2025-2026, en particulier le soya, qui accusent déjà un retard avec des ventes nulles à la Chine par rapport aux autres années vers le 29 mai (figure 2). L’an dernier, au 29 mai, il n’y avait également aucune vente à terme pour la nouvelle récolte; toutefois, des ventes se sont concrétisées par la suite.
Même si les ventes à terme peuvent se concrétiser plus tard en 2025-2026, ce ralentissement reflète une incertitude plus large, et les tarifs douaniers actuels rendent les États-Unis moins concurrentiels. Les exportateurs hésitent à s’engager dans des ententes qui pourraient être compromises si les tarifs douaniers plus élevés sont rétablis après la période de 90 jours.
Figure 2. Ventes de soya de la nouvelle récolte des États-Unis en date du 29 mai, selon l’année de commercialisation

Sources : USDA, Services économiques FAC
Frais imposés par les États-Unis sur les navires chinois
Passée inaperçue en raison de tarifs douaniers plus généraux, une nouvelle politique américaine annoncée en avril impose des frais d’expédition aux navires construits en Chine ou exploités par ce pays. Ces frais, actuellement fixés à zéro, devraient augmenter à partir d’octobre 2025 et perturber davantage les chaînes d’approvisionnement mondiales. Ces derniers varient en fonction du type de navire. Les navires de charge seront facturés 50 $ US par tonne, tandis que les navires porte-conteneurs paieront soit 18 $ US par tonne, soit 120 $ US par conteneur, selon le montant le plus élevé. Par exemple, un navire Panamax de 70 000 tonnes, qui est le plus courant pour les expéditions de céréales aux États-Unis, pourrait devoir payer des frais allant jusqu’à 3,5 millions de dollars américains par visite dans un port américain.
Le gouvernement américain a instauré cette politique pour soutenir son industrie nationale de construction navale en réponse à la domination de la Chine dans ce secteur. Toutefois, même si les États-Unis développent leur secteur de la construction navale, ils devraient rester un acteur mineur par rapport aux géants chinois de la construction navale (figure 3). À court terme, ces frais feront augmenter les coûts d’expédition, ce qui entraînera une hausse des prix des biens importés, y compris ceux associés à la période cruciale des Fêtes, en décembre. Dans l’ensemble, cette situation nuira à la compétitivité des exportateurs américains, surtout en agriculture, car la hausse des frais de transport se répercute sur les producteurs agricoles sous forme d’une réduction des prix à la ferme.
Figure 3 : La Chine a dominé la construction navale (moyenne de 2019 à 2023)

Source : ONU commerce et développement
Le moment où les redevances sont appliquées aux navires chinois est important, puisqu’il coïncide avec le pic de la saison d’exportation du soya américain. On s’attend donc à ce que les nouveaux frais perturbent les expéditions pendant les mois les plus occupés, ce qui entraînera probablement une nouvelle baisse des ventes de soya de la nouvelle récolte.
Du point de vue du Canada, cela pourrait constituer un avantage pour les exportations de céréales en vrac et de produits agroalimentaires par conteneurs. Les navires pourraient passer par des ports canadiens pour éviter les taxes américaines, ce qui pourrait stimuler la demande d’exportations canadiennes et la compétitivité du pays.
Occasions à saisir : Une lueur d’espoir pour l’agriculture canadienne
Les exportateurs et importateurs canadiens de produits agricoles et agroalimentaires sont confrontés à des obstacles logistiques, à la volatilité des prix et à l’incertitude dans leur planification. Ces défis représentent toutefois une occasion stratégique. Alors que les volumes des échanges commerciaux entre les États-Unis et la Chine diminuent, les exportateurs canadiens peuvent tirer parti de l’espace disponible sur les navires et répondre à la demande croissante de l’Asie du Sud-Est et du Moyen-Orient, régions qui cherchent activement des fournisseurs fiables et de premier plan. La solide réputation du Canada en matière de production alimentaire durable le place en bonne position pour combler cette lacune. Dans un marché mondial de plus en plus axé sur la stabilité, le Canada est bien placé pour devenir une source privilégiée de produits agricoles et agroalimentaires. Un secteur au Canada qui laisse augurer un avenir prometteur est l’agriculture en environnement contrôlé (AEC). Bien que la plupart des fruits et légumes soient encore importés, l’AEC suscite de plus en plus d’intérêt et montre un fort potentiel. Le Canada exporte déjà plus de poivrons, de concombres et de champignons qu’il n’en importe, et il est possible d’accroître encore les exportations d’autres produits.
Tendances à surveiller
Plusieurs évolutions pourraient façonner l’avenir du commerce mondial et de l’agriculture canadienne :
Intensification ou apaisement des tensions commerciales entre les États-Unis et la Chine : Toute intensification pourrait aggraver le ralentissement économique mondial déjà en cours, tandis qu’un apaisement pourrait stabiliser les marchés et réduire les coûts.
Annonces sur la politique commerciale des États-Unis : Le président Trump devrait tirer parti de cette période de tarifs douaniers réduits pour négocier des modalités commerciales révisées, ce qui pourrait avoir une incidence sur le Canada.
Rapport sur les ventes à l’exportation pour la nouvelle année de commercialisation des récoltes : Les ventes de soya américain à la Chine influencent considérablement les prix mondiaux des oléagineux. Tout changement dans ces exportations aura une incidence sur le prix des cultures canadiennes. Le suivi constant des engagements de vente de la nouvelle récolte demeure important.
Ces tendances sont susceptibles de remodeler les routes maritimes et les flux commerciaux à l’échelle mondiale. Pour le Canada, cela pourrait signifier à la fois de nouvelles occasions à saisir et de nouveaux défis en ce qui a trait à l’accès aux marchés internationaux; des développements qui nécessiteront un suivi minutieux de la part des entreprises dans la mise en œuvre de leurs stratégies et de leurs plans d’urgence.
En conclusion
La politique commerciale des États-Unis a perturbé les chaînes d’approvisionnement mondiales, engendrant de l’incertitude, augmentant les coûts et risquant de mettre à rude épreuve la capacité de transport maritime. Toutefois, ces défis créent également de nouvelles possibilités pour les exportateurs canadiens, en particulier en raison de la volatilité du commerce entre les États-Unis et la Chine et des nouveaux frais imposés aux navires chinois dans les ports américains. En misant sur la solide réputation du Canada dans le secteur agroalimentaire, l’industrie a la possibilité non seulement de résister à ces perturbations, mais aussi d’accroître sa compétitivité à l’échelle mondiale. Pour saisir cette occasion, il faudra faire preuve d’une vigilance constante et d’une grande capacité d’adaptation dans un environnement commercial en évolution rapide.
Économiste principal
Fort de son expérience dans les marchés agricoles et la gestion du risque, Leigh Anderson est économiste principal à FAC. Il est spécialisé dans la surveillance et l’examen du portefeuille de FAC et de la santé de l’industrie, et il livre des analyses sur les risques liés à l’industrie. En plus de faire des présentations sur l’agriculture et l’économie, Leigh participe régulièrement au blogue des Services économiques de FAC.
Leigh est entré en fonction à FAC en 2015 au sein de l’équipe des Services économiques. Il œuvrait auparavant auprès de la Direction des politiques du ministère de l’Agriculture de la Saskatchewan. Il est titulaire d’une maîtrise en économie agricole de l’Université de la Saskatchewan.