Le Canada s’intéresse de plus en plus à l’agriculture en environnement contrôlé

Si le Canada demeure largement dépendant des fruits et légumes importés, en particulier pendant ses longs hivers, différents types d’agriculture en environnement contrôlé (AEC) gagnent du terrain pour contribuer à résoudre ce problème. L’objectif est de soutenir la production intérieure tout en réduisant la dépendance à l’égard de l’approvisionnement étranger. Alors que la dynamique commerciale évolue et que les consommateurs sont de plus en plus sensibles aux produits alimentaires cultivés au Canada, il n’a jamais été aussi opportun de comprendre le potentiel et les limites de l’AEC.
Dans ce rapport, nous nous appuyons sur des travaux antérieurs et explorons les avantages et les débouchés que l’ACE offre à l’agriculture canadienne, tout en soulignant ses points faibles et les menaces qu’elle doit surmonter. Si les cultures de serre représentent la forme la plus connue d’AEC, cette catégorie comprend aussi d’autres secteurs comme l’élevage d’insectes comestibles, l’aquaculture, la viande cultivée en laboratoire et les cultures issues de systèmes verticaux ou en conteneurs. Nous nous concentrerons sur les fruits et légumes cultivés en serre, qui constituent de loin le segment de l’AEC le plus important et le mieux établi au Canada. Toutefois, plusieurs des idées et des tendances abordées dans les lignes qui suivent sont aussi pertinentes pour d’autres méthodes d’AEC émergentes, dont l’agriculture verticale et l’agriculture en conteneurs.
Avantage : rendements supérieurs à ceux des produits équivalents cultivés en extérieur
En prolongeant la période de croissance et en empilant les cultures à la verticale, les serres permettent d’obtenir des rendements supérieurs à ceux des exploitations traditionnelles qui cultivent les mêmes fruits et légumes en extérieur. L’avantage est frappant, de l’ordre de cinq fois plus de livres par acre pour les tomates à 30 fois plus dans le cas des herbes aromatiques (figure 1). Cet avantage résulte en partie de la capacité des serres canadiennes à fonctionner en moyenne neuf mois par année et à offrir plusieurs récoltes. Certaines exploitations verticales et en conteneurs vont encore plus loin en produisant toute l’année.
L’avantage en matière d’espace et de temps qu’offre la production en serre se traduit aussi par une valeur à la ferme plus élevée par acre. Une fois de plus, les herbes prédominent dans cette catégorie, suivies des concombres (figure 1). On démarre même souvent la culture des légumes destinés à une croissance en plein champ dans ces environnements contrôlés, ce qui souligne l’utilité des serres dans un pays comme le Canada où la saison de croissance en extérieur est courte.
Figure 1 : Les serres offrent des rendements et une valeur à la ferme plus élevés par acre que la production en extérieur

Sources : Statistique Canada, Services économiques FAC
Inconvénient : nombre limité de cultures adaptées à la production en intérieur
Malgré les rendements élevés, la production en serre ne répond encore qu’à une fraction de la demande nationale de nombreuses cultures. La plus grande partie des fruits et des légumes consommés au Canada est toujours importée ou issue de fermes extérieures. Cette situation s’explique par le fait que de nombreuses cultures ne sont tout simplement pas adaptées à des environnements contrôlés en intérieur, et il n’est pas si simple d’alterner entre les systèmes intérieurs et extérieurs.
En fait, seules quelques cultures de serre (tomates, concombres et poivrons, par exemple) contribuent largement à l’offre nationale. D’autres, comme les fraises, la laitue et les haricots verts, n’y contribuent que pour une petite part (figure 2). Outre ces quelques exemples, la plupart des fruits et légumes qui peuvent être cultivés au Canada le sont toujours en extérieur, en raison de besoins environnementaux précis qu’il est difficile et coûteux de reproduire en intérieur. Par exemple, les pommes de terre ont besoin d’un sol profond et meuble, tandis que les canneberges requièrent de grandes quantités d’eau, conditions qui défient même les systèmes intérieurs les plus avancés.
Figure 2 : Approvisionnement en fruits et légumes canadiens sélectionnés, par origine

Sources : Statistique Canada, Services économiques FAC
Si l’innovation en matière d’AEC progresse rapidement, il faudra du temps, des investissements et des recherches soutenues pour étendre sa portée afin de réduire la dépendance du Canada à l’égard des importations dans une gamme élargie de cultures. Pour l’instant, le nombre limité de cultures qui prospèrent dans les serres demeure un important point faible de cette méthode de production par ailleurs prometteuse.
Occasion : protection et résilience au chapitre des échanges commerciaux
Les exportations de poivrons, de tomates et de concombres cultivés en serre atteignent ou dépassent maintenant les importations. Le Canada est aussi autosuffisant en champignons, grâce à la possibilité d’en cultiver à l’intérieur toute l’année dans un environnement contrôlé. Entre 2013 et 2023, le Canada est passé d’un statut d’importateur net de poivrons et de tomates à celui d’exportateur net, tout en renforçant la balance commerciale des concombres et des champignons (figure 3).
Figure 3 : Le Canada est de plus en plus autosuffisant en matière de production de fruits et de légumes frais

Remarque : Une valeur de zéro indique que le Canada est autosuffisant, c’est-à-dire que la production intérieure correspond exactement à la consommation. Une valeur négative indique que le Canada est un importateur net, alors qu’une valeur positive indique une position d’exportateur net.
Source : Services économiques FAC
Le secteur a aussi introduit de nouveaux produits et accru ses activités dans un plus grand nombre de provinces en dehors de l’Ontario. Par exemple, la production de fraises en serre était négligeable avant 2020, mais elle a atteint 16,5 millions de livres en 2024. En outre, depuis 2013, 70 exploitations se sont ajoutées et la superficie de culture en serre a augmenté de 19 % en dehors de l’Ontario, province où se trouve la plus grande concentration de serres au Canada.
Et il existe des possibilités d’expansion. Pour des cultures comme la laitue, les herbes et les fraises, le Canada demeure un importateur net malgré l’augmentation de la production en serre au cours des dernières années. L’augmentation de la production de ces exploitations offre une occasion claire de répondre à la demande intérieure, de réduire la dépendance à l’égard de l’offre étrangère et de contribuer à stabiliser les prix pour les consommateurs.
Pour saisir cette occasion, le Canada doit investir dans des pratiques visant à stimuler la productivité grâce à des technologies économes en main-d’œuvre et en ressources ainsi qu’à la recherche et au développement de nouvelles cultures. Il faudra également explorer les moyens d’étendre l’AEC à un plus grand nombre de régions.
Menace : la disponibilité des intrants et des marchés exerce une pression sur la longévité
La mise en place d’exploitations agricoles à environnement contrôlé nécessite un capital initial important pour le terrain, les bâtiments, les systèmes de régulation de climatisation, l’éclairage à DEL et l’automatisation. Ces coûts de démarrage élevés supposent parfois la préparation à des périodes de récupération plus longues et des activités à une échelle assez grande pour gérer les coûts fixes tout en restant concurrentiel sur le plan des prix par rapport aux produits importés ou cultivés à l’extérieur.
En outre, l’AEC s’accompagne de coûts d’exploitation élevés et de besoins en main-d’œuvre liés à la gestion de la chaleur, de l’humidité et de l’éclairage en fonction du type de culture et de l’emplacement de l’installation. Les charges d’exploitation des serres ont augmenté, en moyenne, de 6,0 % par année au cours de la dernière décennie. Toutefois, au cours de la même période, les ventes ont augmenté un peu plus (6,4 %), ce qui a permis de maintenir les marges à un niveau légèrement supérieur au seuil de rentabilité pour le secteur.
Si la hausse des coûts constitue un défi, la plus grande menace est la disponibilité des intrants. La main-d’œuvre de moins de 60 ans dans la production en serre a diminué, en moyenne, de 8 % par année au cours des cinq dernières années, et pour chaque travailleur qui approche de la retraite, il n’y a que 4,2 jeunes remplaçants (figure 4). Parallèlement, les entreprises d’AEC sont en concurrence avec d’autres secteurs de haute technologie pour l’accès à des infrastructures municipales limitées comme l’énergie, l’eau et les services de traitement des déchets, ce qui rend l’expansion ou la construction de nouveaux bâtiments encore plus difficile, voire totalement hors de portée.
Si la technologie permet d’atténuer certaines de ces pressions en stimulant la productivité, la capacité du secteur à augmenter sa production dépend de la résolution des problèmes de coût et de capacité.
Figure 4 : La proportion de jeunes travailleurs et travailleuses par rapport à la main-d’œuvre plus âgée dans les serres diminue rapidement

Sources : Statistique Canada, Services économiques FAC
En conclusion
L’AEC est une excellente solution complémentaire à l’agriculture en extérieur puisqu’elle prolonge la saison de croissance et donne des rendements élevés. Le secteur prend de l’ampleur grâce à l’innovation qui stimule la productivité et ouvre la porte à une plus grande variété de cultures et de régions agricoles. Cependant, l’AEC ne représente encore qu’une petite fraction de l’offre totale de fruits et légumes frais au Canada, et l’éventail de cultures qui se prêtent à ce mode de production demeure limité.
Il sera crucial d’investir dans ces technologies et d’encourager leur adoption afin de surmonter les coûts d’exploitation élevés, de résoudre les problèmes de main-d’œuvre et d’infrastructure et de permettre au secteur de réaliser tout son potentiel. Dans l’intervalle, l’approvisionnement en fruits et légumes au Canada continuera à provenir principalement des importations et de la production en extérieur.

Économiste principale
Amanda s’est jointe à FAC en 2024 en tant qu’économiste. Spécialisée dans l’industrie agroalimentaire, elle effectue également des recherches sur la gestion de l’offre et les tendances de consommation. Amanda était auparavant à Agriculture et Agroalimentaire Canada, où elle a acquis une vaste connaissance de l’économie, des techniques et du secteur en occupant divers postes, notamment ceux de conseillère en matière de politiques, de chef de projets et d’économiste.
Amanda est titulaire d’une maîtrise en économie de l’alimentation, de l’agriculture et des ressources de l’Université de Guelph. Elle est également membre du conseil d’administration de la Société canadienne d’agroéconomie, où elle promeut les activités de rayonnement et l’importance de la recherche en agriculture et agroalimentaire.