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La détérioration de l’abordabilité des terres agricoles présente des défis

27 mars 2024
7,5 min de lecture

Malgré les défis auxquels l’agriculture canadienne a été confrontée en 2023, comme la baisse des prix des produits de base, les coûts des intrants et les taux d’intérêt élevés, et les phénomènes météorologiques violents, les recettes monétaires agricoles ont augmenté de 3,6 % pour atteindre un nouveau record de 98,6 milliards de dollars. Comme l’offre de terres agricoles à vendre demeure réduite, la valeur moyenne des terres agricoles a grimpé de 11,5 % en  2023; il s’agit d’une hausse inférieure à celle de 12,8 % observée en  2022.   

Partout au Canada, les prix des terres agricoles ont connu une forte croissance au cours de la dernière décennie (de  2014 à  2023), soit une hausse moyenne annuelle de 9,1 %. Les augmentations de la valeur des terres agricoles ont été inégales d’une région à l’autre; le taux de croissance annuel moyen a été plus élevé dans l’Est (9,9  %) que dans l’Ouest canadien (8,0 %). Cette appréciation suscite une discussion sur l’accessibilité économique des terres agricoles nouvellement achetées. L’abordabilité des terres agricoles est influencée par un éventail de facteurs, dont les prix des terres, les taux d’intérêt, les revenus agricoles, la population urbaine et l’offre de terres agricoles.  

Ce billet de blogue présente un indice de l’abordabilité des terres agricoles et une estimation de celle-ci. S’il existe des nuances importantes entre les provinces, l’abordabilité des terres agricoles s’est détériorée parallèlement à l’augmentation de la valeur des terres agricoles et des taux hypothécaires, et a atteint son pire niveau en  30  ans à la fin de l’année  2023. Nous examinons aussi les raisons pour lesquelles les prix des terres ont continué à grimper en  2023 dans un contexte de hausse des taux d’intérêt. 

Définir et mesurer l’indice d’abordabilité des exploitations agricoles  

L’indice d’abordabilité des terres agricoles est un rapport entre le coût d’achat (paiements annuels sur les terres agricoles nouvellement achetées) et les revenus potentiels tirés de celles-ci. Le ratio est calculé en fonction de l’année de référence  2020 afin de comparer l’évolution des prix avant et après la pandémie. Plus le ratio est élevé, moins les prix d’achat des terres agricoles sont abordables, car une plus grande part du revenu disponible est nécessaire pour assurer le service de la dette.  

En nous inspirant de l’indice d’accessibilité à la propriété de la Banque du Canada, nous avons exprimé l’indice d’abordabilité des terres agricoles comme ceci :  

$$\text{IATA} = \frac{\text{Co}\hat{u}\text{t annuel de l}′\text{achat de terres agricoles par acre}}{\text{Rendement de chaque acre}}$$

En supposant l’achat d’une terre avec une mise de fonds de 25 % et un prêt amorti sur 25  ans, le remboursement annuel (capital et intérêts) sera fonction du taux d’intérêt du prêt hypothécaire et du montant du capital du prêt. Pour calculer le dénominateur, c’est-à-dire le rendement de chaque acre de terre, on divise les recettes monétaires agricoles par le nombre d’acres ensemencés.  

Pourquoi cet indice est-il important? 

Pour la plupart des entreprises agricoles, les terres agricoles constituent l’actif le plus précieux qui génère des revenus. Les tendances des prix des terres agricoles ont une incidence décisive sur le rendement financier et la croissance des entreprises au fil du temps. Le nouvel indice de FAC permet de suivre l’évolution de l’abordabilité des terres agricoles canadiennes au fur et à mesure et de fournir des renseignements précieux sur les prix des terres agricoles canadiennes afin que les exploitants agricoles puissent prendre des décisions d’affaires éclairées concernant leurs actifs fonciers et leurs investissements. 

Faits saillants de l’indice  

L’abordabilité des terres agricoles a atteint son pire niveau en  1981, année où les taux hypothécaires de cinq ans ont atteint 18 %, en plus des problèmes liés à la production et aux prix qui ont eu une incidence sur les recettes monétaires agricoles. La baisse générale des taux d’intérêt du milieu des années 1980 au début des années  2000 a amélioré l’abordabilité des terres agricoles, qui est restée relativement stable. Toutefois, la flambée des taux et la forte appréciation de la valeur des terres agricoles depuis  2020 ont entraîné une détérioration de l’abordabilité des terres agricoles, qui a atteint son pire niveau depuis 1990 (figure 1).  

Figure 1 : L’abordabilité des exploitations agricoles au Canada atteint le pire niveau en plus de trois décennies   

L’abordabilité des exploitations agricoles au Canada atteint le pire niveau en plus de trois décennies

Sources : Statistique Canada, calculs effectués par FAC

Un indice d’abordabilité des terres agricoles à la hausse (détérioration de l’abordabilité des terres agricoles) indique que la valeur des terres agricoles dépasse les revenus que celles-ci génèrent. Si l’augmentation de la valeur des terres agricoles signifie que les agriculteurs établis tireront plus de capitaux propres de leurs actifs, elle indique aussi que le prix des terres agricoles est élevé par rapport aux revenus que celles-ci peuvent générer.  

Dans l’Ouest canadien, l’incidence sur la hausse de la valeur des terres agricoles et l’augmentation des taux d’intérêt a fait grimper l’indice d’abordabilité des terres agricoles à un sommet de dix ans. Depuis 2020, c’est en Colombie-Britannique qu’on observe la détérioration la plus marquée, car la valeur des terres agricoles y est particulièrement élevée. Au cours de la même période, l’Alberta a connu la moins grande détérioration, notamment en raison de la plus faible appréciation de la valeur des terres agricoles (figure  2).   

Figure 2 : L’indice d’abordabilité des exploitations agricoles dans l’Ouest canadien indique une détérioration au cours des dernières années 

L’indice d’abordabilité des exploitations agricoles dans l’Ouest canadien indique une détérioration au cours des dernières années

Sources : Statistique Canada, calculs effectués par FAC

L’abordabilité des terres agricoles s’est détériorée à des niveaux sans précédent dans l’Est du Canada; en  2023, l’Ontario a battu le record précédent de 1981 pour les terres les moins abordables, la valeur des terres agricoles ayant progressé plus rapidement que les recettes monétaires agricoles (figure  3). Au Québec, l’abordabilité des terres agricoles atteint le pire niveau jamais enregistré en  2022, et la détérioration s’est poursuivie en 2023.  

Figure  3 : L’indice d’abordabilité des exploitations agricoles dans l’Est du Canada indique une détérioration au cours des dernières années 

L’indice d’abordabilité des exploitations agricoles dans l’Est du Canada indique une détérioration au cours des dernières années

Sources : Statistique Canada, calculs effectués par FAC

Pourquoi la valeur des terres agricoles a-t-elle continué à grimper en  2023?

Le ratio du fonds de roulement, qui correspond au montant des liquidités et des stocks divisé par le passif à court terme, indique les liquidités dont dispose une entreprise. Dans le passé, les agriculteurs canadiens conservaient en liquidités et en stocks l’équivalent de 2,5 fois la valeur du passif à court terme. À la fin de  2022, cependant, les agriculteurs canadiens détenaient 3,4  fois cette valeur, soit l’équivalent de 15,5  milliards de dollars de plus que nécessaire pour respecter leurs obligations de crédit à court terme. Le niveau accru des liquidités dont disposent les exploitations agricoles a permis aux producteurs d’investir dans des terres agricoles malgré la hausse des taux d’intérêt.  

Figure  4 : À la fin de 2022, les producteurs détenaient des niveaux de liquidités et de stocks supérieurs à la moyenne, soit l’équivalent de 15,5 G$ 

À la fin de 2022, le ratio du fonds de roulement des producteurs canadiens indiquait des niveaux de trésorerie et de stocks supérieurs à la normale

Sources : Statistique Canada, calculs effectués par FAC

Les producteurs situés dans les provinces où les réserves de liquidités étaient plus élevées à la fin de 2022 devraient être particulièrement bien placés pour acheter des terres agricoles en  2023. Dans les Prairies, les producteurs de la Saskatchewan avaient un ratio du fonds de roulement quasi record et ont stimulé la croissance de la valeur des terres agricoles au Canada. En Alberta, toutefois, après quelques années de conditions météorologiques difficiles, les producteurs disposaient de moins de liquidités et de stocks excédentaires, ce qui a limité la croissance de la valeur des terres agricoles.  

Figure 5 : Le ratio du fonds de roulement en Alberta et en Saskatchewan était solide en  2022, mais d’autres facteurs ont encore une incidence sur la croissance de la valeur des terres agricoles  

Ratio du fonds de roulement en Alberta et en Saskatchewan

Sources : Statistique Canada, calculs effectués par FAC

Les producteurs de l’Ontario et du Québec ont enregistré un ratio du fonds de roulement record à la fin de  2022. Un fonds de roulement suffisant peut renforcer la capacité de certaines exploitations d’agrandir leur superficie et faire diminuer l’abordabilité des terres agricoles.  

Figure  6 : Ratios du fonds de roulement records pour les producteurs de l’Ontario et du Québec à la fin de  2022 

Ratio du fonds de roulement en Ontario et au Québec

Sources : Statistique Canada, calculs effectués par FAC

Facteurs qui influenceront l’abordabilité des terres agricoles en  2024 

On s’attend à ce que la valeur des terres agricoles demeure élevée, car l’offre de terres agricoles reste limitée. Puisque l’on s’attend à ce que les recettes monétaires agricoles diminuent de 3,2  %, notamment en raison de la baisse des prix et de la diminution des mises en marché, et à ce que les taux d’intérêt demeurent élevés (malgré les baisses prévues par la Banque du Canada au cours du deuxième semestre), l’indice d’abordabilité des exploitations agricoles devrait continuer à se détériorer en  2024. Les Services économiques FAC surveilleront l’évolution de l’indice et fourniront des mises à jour périodiques durant l’année.  

Article de :

Isaac Kwarteng, économiste principal  

Justin  Shepherd, économiste principal