La mission de Tea Creek : transformer l’agriculture autochtone

Dans une ferme du nord de la Colombie-Britannique, de grands changements s’opèrent. L’entreprise Tea Creek, qui était à l’origine une exploitation familiale, est devenue une ferme-école primée, dirigée par des Autochtones, ayant pour objectif de revitaliser la souveraineté alimentaire et de donner les moyens d’agir à la relève autochtone.
Le pilier de Tea Creek est Jacob Beaton, dit Dzap’l Gye’awin Skiik, prénom qui signifie « aigle occupé » et qui sied parfaitement à cet homme déterminé à remodeler l’enseignement agricole autochtone.
Avec sa femme, Jessica Ouellette, et leurs fils, Noah et Ezra, M. Beaton a construit plus qu’une simple ferme; il a créé un lieu où les Autochtones peuvent renouer avec la terre, acquérir des compétences pratiques en agriculture et surmonter les obstacles à la participation des Autochtones à l’industrie agricole au Canada.
Une approche pratique
Contrairement aux programmes qui reposent essentiellement sur l’enseignement en classe, Tea Creek propose une formation pratique et axée sur la terre, la souveraineté alimentaire et les métiers autochtones, et conçue pour favoriser la réussite dans le monde réel. M. Beaton indique que pour de nombreuses personnes, l’apprentissage en classe n’est pas nécessairement la méthode la plus efficace.
« Une minorité excelle dans les salles de classe traditionnelles, mais pour beaucoup, en particulier chez les Premières Nations, l’apprentissage pratique par l’expérience tend à être plus motivant et attrayant », explique-t-il.
En mettant l’accent sur les compétences pratiques, de petits groupes et la sécurité culturelle, Tea Creek montre qu’une autre approche de l’enseignement agricole est possible et souvent cruciale pour la réussite.
Vers une formation tout au long de l’année
Le modèle de Tea Creek est conçu pour favoriser la réussite à long terme. « Nous obtenons du financement pour des programmes de courte durée, comme des cours de huit semaines. Nous aimerions offrir plus d’options à long terme », dit M. Beaton. Après tout, il faut des années d’expérience pratique pour acquérir une véritable expertise.
Tea Creek préconise une formation tout au long de l’année, axée sur les compétences et utilisant des technologies et des méthodes de pointe.Le soutien au titre des programmes à court terme est un bon point de départ, mais Tea Creek préconise une formation tout au long de l’année, axée sur les compétences et utilisant des technologies et des méthodes de pointe. Cette approche tient compte du temps et du dévouement nécessaires pour outiller les gestionnaires agricoles et les gardiens et gardiennes des terres autochtones.
La ténacité entrepreneuriale de M. Beaton montre qu’avec un financement permanent pour une formation à long terme, ce modèle pourrait être élargi pour résoudre la crise de la main-d’œuvre agricole et renforcer l’autonomie des communautés autochtones. Il préconise un financement adapté et fiable qui répond aux besoins particuliers et aux objectifs de son exploitation.
L’obtention d’un financement suffisant et à long terme constitue un défi de taille. L’organisation compte sur des subventions gouvernementales, le soutien de l’industrie et des dons privés. « Ce sont les membres de la collectivité et le secteur privé qui nous permettent de rester en vie », dit-il.
« Nous avons prouvé que ce modèle fonctionne », affirme M. Beaton, en soulignant qu’en 2021, Tea Creek avait déjà initié plus de 450 Autochtones à des métiers spécialisés.
La souveraineté alimentaire des Autochtones : une voie vers l’autonomisation et la résilience
La souveraineté et la sécurité alimentaires des Autochtones sont au cœur de la mission de Tea Creek. « C’est devenu une véritable passion pour moi, confie M. Beaton. Il s’agit d’une perspective autochtone de la production alimentaire : nous voulons travailler en harmonie avec la nature, pas contre elle, et réduire la dépendance à l’égard des gens de l’extérieur. »
Les enjeux sont personnels. En effet, M. Beaton a grandi dans l’insécurité alimentaire. « Pendant une partie de mon enfance, nous ne mangions pas à notre faim. Deux membres de ma famille ont faille en mourir, raconte-t-il. C’est un traumatisme qui ne s’oublie pas. Quand je vois d’autres enfants dans cette situation, je me dis : “Non. Vous allez recevoir autant de nourriture que nous pouvons vous en donner”. »
Si la sécurité alimentaire demeure une préoccupation essentielle, elle s’inscrit dans un cadre plus large; de fait, la protection des systèmes alimentaires autochtones signifie aussi la protection des terres, de l’eau et de la biodiversité qui les soutiennent. « Il ne s’agit pas seulement d’un projet à vocation sociale ou altruiste; c’est aussi une démarche fondée sur les données », précise M. Beaton. Les communautés autochtones jouent un rôle essentiel dans la protection de la biodiversité et la gestion des écosystèmes, malgré des ressources limitées.
C’est ce sens des responsabilités qui façonne la mission de Tea Creek : cultiver des aliments et reconstruire les systèmes qui nourrissaient autrefois des communautés entières. De nombreuses communautés autochtones et des Premières Nations se trouvent dans des zones rurales et isolées et sont dépossédées de leurs terres arables et exclues de toute participation économique.

« Ces terres nourricières étaient autrefois florissantes. Beaucoup d’entre elles sont maintenant improductives, précise M. Beaton. Et 50 % de nos stagiaires veulent consacrer leur vie à l’économie alimentaire. Ils ont besoin que les barrières soient levées. »
L’approche de Tea Creek en matière de renforcement des capacités est certes essentielle pour les communautés autochtones, mais elle constitue aussi une solution évolutive et reproductible pour reconstruire les économies locales et accroître la résilience partout au Canada.
« C’est la solution qui permet de restaurer la sécurité et la souveraineté alimentaires, non seulement pour nous, peuples autochtones, ce qui est essentiel, mais aussi pour l’ensemble du pays; il s’agit d’une question de plus en plus importante, explique M. Beaton. Les économies dirigées par des Autochtones créent plus d’emplois locaux et génèrent un effet d’entraînement plus puissant. »
L’importance des partenariats
M. Beaton souligne que l’investissement est essentiel. C’est dans cette optique que le financement récent accordé par FAC prend tout son sens. En s’engageant à verser 250 000 $ à Tea Creek, FAC soutient l’inclusion économique des peuples autochtones dans l’industrie agricole et agroalimentaire et contribue à éliminer les obstacles à l’entrée dans le secteur.
« FAC apporte ainsi un soutien au mouvement en faveur de la souveraineté alimentaire des Autochtones », explique M. Beaton. Des partenariats comme celui-ci aident aussi à renforcer l’équité.
« Il faut d’abord atteindre l’équité, puis des mesures de réconciliation peuvent être prises pour réparer les torts du passé. » FAC contribue à jeter les bases d’une véritable réconciliation, en veillant à ce que les communautés autochtones aient les moyens de tracer la voie de leur propre souveraineté alimentaire.
Lorsque la collaboration est fondée sur le respect et sur un objectif commun, elle peut contribuer à supprimer les obstacles et à créer un terreau où les solutions mises de l’avant par des Autochtones peuvent s’enraciner. Le soutien de FAC montre que les institutions peuvent être des catalyseurs de progrès en soutenant des initiatives comme Tea Creek et en contribuant à créer les conditions nécessaires à un changement durable et significatif.
Une vision de l’avenir
L’objectif à long terme de Tea Creek est de mettre en place un réseau national d’initiatives agricoles menées par des Autochtones afin de revitaliser et d’enseigner l’agriculture autochtone. La ferme vise à garantir que les communautés autochtones sont au cœur du processus décisionnel et de la gestion des ressources. « Nous nous préparons à collaborer avec des responsables politiques et des gestionnaires de ressources pour transformer l’agriculture », déclare M. Beaton.
Cette vision s’étend au-delà de Tea Creek. « Idéalement, notre proposition suscitera l’enthousiasme de partenaires qui voudront réussir avec nous », explique M. Beaton.
Quand l’espoir trace la route
Tea Creek continue à aller de l’avant avec optimisme. « Plusieurs développements passionnants sont en cours. Il y a beaucoup d’espoir et de progrès, et nous continuons à avancer », déclare M. Beaton. La ferme fait l’objet d’un documentaire intitulé Tea Creek, qui a reçu un accueil positif, ce qui a permis de mieux faire connaître ses activités et d’obtenir du soutien. « Le film marche très bien. Il trouve un écho auprès des publics autochtone et non autochtone », dit M. Beaton.
Le soutien de la communauté est un élément moteur de la réussite de Tea Creek. M. Beaton se souvient d’un moment fort qui l’a rempli d’espoir : « Un agriculteur à la retraite m’a confié que c’était le film le plus émouvant qu’il avait vu depuis longtemps. Il a même envoyé des cartes de Noël à tous ses proches, et y a indiqué que tout ce qu’il voulait pour Noël, c’était qu’ils regardent ce film. »
L’histoire de Tea Creek est marquée par la résilience et l’espoir et montre qu’un changement significatif est possible lorsque les communautés et les personnes alliées s’unissent pour investir dans la réconciliation, l’équité et la souveraineté alimentaire future.
Leçons à retenir de Tea Creek : formation, collaboration et partenariat
Concrétiser la réussite en privilégiant la formation pratique
Une formation agricole pratique et axée sur les compétences est essentielle au succès à long terme de la souveraineté alimentaire autochtone. Tea Creek mise sur l’expérience pratique pour renforcer les compétences et la confiance chez les agriculteurs et les agricultrices autochtones.
Réussir à long terme grâce à la collaboration et aux partenariats
Pour un changement réel, des partenariats solides sont essentiels. La collaboration de Tea Creek avec les communautés autochtones, l’industrie et les responsables politiques contribue à autonomiser les peuples autochtones et à faire progresser l’agriculture.
Investir dans un avenir équitable et florissant
En soutenant des initiatives agricoles menées par des Autochtones, nous investissons dans un avenir où les communautés prospèrent, où les pratiques autochtones sont ravivées, où la biodiversité est soutenue et où la souveraineté alimentaire est rétablie. Portée par l’espoir et la résilience, la vision de Tea Creek illustre la force de la collaboration dans sa volonté de remodeler le paysage agricole canadien.
Ne manquez pas le documentaire Tea Creek sur CBC Gem [en anglais seulement].
D’après un article de l’AgriSuccès par Emily Leeson
