La politique américaine a une incidence sur le potentiel des biocarburants au Canada

La production et la consommation de biocarburants ont connu des fluctuations au cours du siècle dernier, depuis l’époque où le modèle T d’Henry Ford pouvait fonctionner à l’éthanol. Même si la popularité des biocarburants a connu des baisses périodiques, la mise en œuvre de la Renewable Fuel Standard (Norme sur les carburants renouvelables) aux États-Unis en 2007 a relancé la construction d’installations de production de biocarburants. En outre, la production de biocarburants soutient la demande de produits agricoles, notamment de cultures telles que le maïs, le blé, le soya et le canola.
Au Canada et aux États-Unis, il existe trois catégories de carburants liquides auxquelles les biocarburants se mesurent et qu’ils peuvent remplacer. Le marché le plus important est celui de l’essence, suivi de celui du diesel, puis de celui du carburéacteur. Tous ces marchés sont bien approvisionnés en combustibles fossiles, mais la substitution et le mélange de biocarburants peuvent contribuer à améliorer la qualité des carburants et à réduire les émissions de gaz à effet de serre. Les politiques américaines en matière de biocarburants continueront à jouer un rôle important pour déterminer où les biocarburants canadiens sont consommés, ainsi que les matières premières utilisées. Nous étudierons chacun de ces marchés et cernerons les points à surveiller pour les exploitations agricoles canadiennes.
La croissance de l’éthanol au Canada est stimulée par les importations
L’éthanol est fréquemment incorporé dans les formules d’essence, ce qui représente un secteur important et bien établi sur le marché des biocarburants. Il demeure généralement concurrentiel par rapport à l’essence traditionnelle et sert à améliorer l’indice d’octane des mélanges finaux lorsqu’il est combiné à une essence à faible indice d’octane.
La production canadienne d’éthanol a diminué de 1 % en mai par rapport à l’année précédente, bien que la production ait progressé de 14 % au cours de cette période depuis 2021. La croissance de la production d’éthanol est attribuable à l’amélioration de l’efficacité, ce qui se traduit par une hausse de la production d’éthanol par tonne de céréales, et l’utilisation totale des céréales a grimpé de 8 % au cours du même intervalle. L’année dernière, l’éthanol représentait 9,1 % du stock d’essence consommé au Canada, ce qui signifie qu’il y avait en moyenne 0,091 litre d’éthanol dans chaque litre d’essence (voir figure 1). Depuis 2018, la proportion d’éthanol canadien dans les stocks d’essence est restée pratiquement inchangée, atteignant 3,9 % l’an dernier. L’éthanol importé représente désormais une part plus importante, puisque plus de 5 % de l’éthanol mélangé à l’essence au Canada provient principalement des États-Unis.
Figure 1 : L’augmentation de la part de l’éthanol dans l’essence canadienne provient de plus en plus des importations

Sources : Global Agricultural Information Network du Foreign Agricultural Service de l’USDA, Services économiques FAC
Étant donné que les usines d’éthanol canadiennes n’ont pas été en mesure de répondre à la consommation intérieure, la demande croissante dans d’autres parties du monde sera probablement satisfaite par les producteurs américains. Comme le Règlement sur les combustibles propres du Canada continuera à réduire l’intensité de carbone requise dans l’essence jusqu’en 2030, un apport en éthanol supplémentaire – qui contribue à réduire l’intensité de carbone – sera nécessaire. Si la production d’éthanol doublait au Canada, le pays continuerait de dépendre des importations en provenance des États-Unis; toutefois, cette augmentation de la production nécessiterait 4 millions de tonnes de céréales supplémentaires.
Les biocarburants servant de substituts au diesel fossile sont les favoris du marché en ce moment
Les installations de production de biodiesel et de diesel renouvelable au Canada ont récemment connu une volatilité importante du marché. L’année dernière, la production nationale a augmenté, notamment dans la catégorie « Autres carburants renouvelables » (voir la figure 2), coïncidant avec la mise en service et l’augmentation subséquente de deux nouvelles usines de diesel renouvelables. Toutefois, au début de la nouvelle année, les taux d’utilisation des installations aux États-Unis et au Canada ont fortement chuté en raison de l’incertitude persistante entourant le crédit d’impôt américain pour les mélangeurs de carburant, ce qui a poussé l’industrie à adopter une approche prudente dans l’attente de nouveaux développements.
Figure 2 : La production canadienne de biodiesel et de diesel renouvelable fluctue en fonction de la politique américaine

Sources : Statistique Canada, Services économiques FAC
Plusieurs changements apportés à la politique [en anglais seulement] ont influencé le contexte actuel, notamment le crédit d’impôt 45Z pour la production de carburant propre prévu dans la Inflation Reduction Act (loi sur la réduction de l’inflation) de 2022, récemment adoptée par la Chambre des représentants des États-Unis et les mises à jour de l’Agence des États-Unis pour la protection de l’environnement (Environmental Protection Agency ou EPA). Le crédit d’impôt américain pour les biocarburants n’est plus accordé à l’étape du mélange, mais selon un modèle axé sur les producteurs. Ce changement exclut les importations canadiennes de biodiesel et de diesel renouvelable, car seuls les biocarburants produits aux États-Unis y sont maintenant admissibles. Cet ajustement pourrait réduire les possibilités d’exportation de ces biocarburants pour le Canada, amenant les producteurs de biodiesel et de diesel renouvelable au pays à chercher d’autres marchés.
Le Canada exporte plus d’huile végétale (principalement du canola) aux États-Unis pour la production de biocarburants qu’il n’en utilise à l’échelle nationale. Au cours de la dernière année, le Canada a utilisé un peu plus d’un million de tonnes métriques d’huile végétale pour produire son propre biodiesel et diesel renouvelable, mais en a exporté 2,8 millions de tonnes vers les États-Unis. En raison de l’incertitude qui persiste dans les politiques, l’industrie canadienne de trituration des oléagineux en pleine croissance sera à l’affût de débouchés potentiels.
L’EPA propose également de réduire de 50 % les numéros d’identification des carburants renouvelables (Renewable Identification Numbers ou RIN) pour les biocarburants fabriqués à partir de matières premières importées. Par conséquent, les usines américaines de biocarburants utilisant de l’huile de canola canadienne recevraient 12 cents de moins par livre en RIN que celles utilisant de l’huile de soya américaine. L’huile de canola canadienne pourrait être redirigée vers d’autres marchés, comme l’alimentation humaine, en cas de diminution de la demande de biocarburants aux États-Unis. En même temps, l’EPA a annoncé des cibles de mélange pour 2026 et 2027 plus élevées que prévu, ce qui stimule les marchés nord-américains des oléagineux. Les contrats à terme sur l’huile de soya ont fortement augmenté, et la part des revenus de trituration provenant de l’huile de soya [en anglais seulement] a atteint un sommet de cinq ans (figure 3).
Figure 3 : La part des revenus de l’huile de soya dans les revenus de trituration du soya a atteint un sommet en cinq ans à la suite de l’annonce de l’EPA

Sources : Barchart, CME Futures, Services économiques FAC
Ces considérations indiquent que le biodiesel et le diesel renouvelable produits au Canada risquent de faire face à une contraction de la demande en raison des politiques gouvernementales en vigueur. Entre-temps, l’USDA prévoit [en anglais seulement] que plus de la moitié de l’huile de soya produite aux États-Unis sera utilisée pour les biocarburants. Les acheteurs nationaux et internationaux pourraient se tourner vers l’huile végétale canadienne comme solution de rechange. L’huile de canola, dont le prix est étroitement lié à celui de l’huile de soya, sera soutenue par la demande accrue d’huiles végétales.
Le carburant d’aviation renouvelable tarde à décoller
Le carburant d’aviation renouvelable est produit selon des méthodes semblables à celles utilisées pour le diesel renouvelable. Ces carburants doivent être compatibles avec les moteurs d’avion existants sans modification. Plusieurs installations aux États-Unis augmentent la production de carburant d’aviation renouvelable, tandis que le Canada n’a pas encore d’usines opérationnelles, bien que l’on s’attende à un développement futur. La production de carburant d’aviation renouvelable utilise généralement les matières premières servant à produire du biodiesel comme les huiles végétales, ce qui représente un marché potentiel en croissance pour les graines oléagineuses.
En conclusion
Les mesures américaines visent à promouvoir la production nationale de biocarburants, ce qui pourrait réduire la demande d’exportations canadiennes de biodiesel et de diesel renouvelable. D’autres changements de politique présentent à la fois des avantages potentiels et des défis pour l’utilisation de l’huile de canola canadienne dans les installations de biocarburants américaines. Parallèlement, les cibles de mélange américaines plus élevées ont contribué à l’augmentation des contrats à terme d’huile de soya, ce qui a une incidence sur le prix de l’huile végétale canadienne. Pour l’avenir, le marché émergent du carburant d’aviation renouvelable, qui utilise des matières premières semblables, offre de nouvelles possibilités de croissance pour les producteurs d’oléagineux canadiens, bien que les installations de production nationales de ce type de carburant n’en soient encore qu’à un stade précoce de développement.

Économiste principal
Justin Shepherd est économiste principal à FAC. Lorsqu’il s’est joint à l’équipe en 2021, il se spécialisait dans la surveillance de la production agricole et l’analyse des tendances de l’offre et de la demande à l’échelle mondiale. En plus de faire des présentations sur l’agriculture et l’économie, Justin participe régulièrement au blogue des Services économiques de FAC.
Il a grandi dans une ferme mixte en Saskatchewan et il est toujours actif au sein de l’exploitation agricole familiale. Justin est titulaire d’une maîtrise en économie appliquée et gestion de l’Université Cornell, ainsi que d’un baccalauréat en agroentreprise de l’Université de la Saskatchewan.