Voici pourquoi il est difficile de cerner les sources des pressions inflationnistes dans les chaînes d’approvisionnement agroalimentaires
Notre billet de la semaine dernière examinait quelques faits au sujet de la répercussion des prix dans le contexte du lien qui unit les producteurs aux transformateurs dans les chaînes d’approvisionnement des produits laitiers et du porc au Canada. Le présent billet, le second de deux, explique plusieurs facteurs sous-jacents à la répercussion des prix dans l’ensemble de la chaîne d’approvisionnement agroalimentaire canadienne.
Répercussion des prix dans les secteurs agroalimentaires canadiens
Comme nous l’avons indiqué la semaine dernière, suivre la trace de la répercussion des prix dans la chaîne d’approvisionnement agroalimentaire n’est pas simple. Bien qu’il existe un certain lien entre l’augmentation des prix des intrants pour les exploitants agricoles (comme les céréales fourragères) et la hausse des prix des produits alimentaires transformés, l’explication varie selon le secteur agricole.
Par exemple, dans les secteurs soumis à la gestion de l’offre, des changements dans les coûts de production estimés entraînent des ajustements des prix des produits agricoles selon des formules déterminées au préalable. Mais même là, une répercussion « totale » n’est pas garantie. Dans le cas du secteur laitier, les coûts de production et l’indice global des prix à la consommation influent sur le prix du lait à la ferme. Chaque facteur grimpe (et chute) à un rythme différent.
Les prix des produits des transformateurs dépendent de nombreux facteurs, qui ont tous été exposés à une volatilité considérable et généralisée entre 2019 et 2022 : les variations des prix des produits agricoles, les pressions inflationnistes exercées sur d’autres intrants (comme l’énergie et la main-d’œuvre), ainsi que les négociations avec les acheteurs (p. ex., les détaillants) quant à la mesure dans laquelle ils peuvent leur transférer leurs coûts plus élevés.
De plus, les secteurs non assujettis à la gestion de l’offre sont habituellement (voire toujours) caractérisés par une répercussion imparfaite des prix. En règle générale, ils sont plus exposés aux marchés mondiaux que les secteurs soumis à la gestion de l’offre et ont peu de pouvoir ou d’influence sur les prix. Les éleveurs de bétail et les transformateurs de viande canadiens sont des « preneurs de prix » : les prix que reçoivent les producteurs de porc canadiens sont établis sur un marché nord-américain où les prix des États-Unis constituent le facteur le plus déterminant.
Le secteur porcin des États-Unis est fortement influencé par la demande de la part des entreprises de conditionnement du porc, qui est elle-même influencée par les forces du marché mondial, comme les volumes de production et d’importation en Chine, le plus important marché du porc au monde. La répercussion des prix sur ce marché est difficile à déchiffrer depuis 2018, année où l’éclosion de la peste porcine africaine dans le cheptel porcin chinois a créé une onde de choc sur les marchés mondiaux d’aliments pour animaux et de viande, accroissant ainsi la volatilité des prix jusqu’en 2022.
Le prix des céréales fourragères est également fixé sur un marché mondial et à la merci des variations de l’utilisation de biocarburants, des chocs d’offre comme la guerre menée par la Russie et des perturbations météorologiques extrêmes (entre autres choses). Un changement dans l’un ou l’autre de ces facteurs aura une incidence sur les prix auxquels les éleveurs canadiens de bétail achètent leurs aliments pour animaux, sans qu’il soit possible de transférer davantage cette variation des coûts.
Trois facteurs de répercussion imparfaite des prix
Une répercussion imparfaite des coûts peut être causée par les facteurs suivants :
Écarts entre les décisions de production et les décisions de marketing d’un producteur.
Des contrats sont souvent négociés, ou des décisions de production sont prises, lorsque les coûts sont de « x », mais le produit est livré à un moment où les prix sont de « y ».
Il se peut que certains « coûts » ne puissent être transférés (p. ex., les « pertes » découlant de l’appréciation de la monnaie ou de fluctuations du taux de change entre les dates de signature d’un contrat et de livraison des produits). D’autres coûts appliqués sans distinction et de façon inattendue (p. ex., des obstacles non tarifaires appliqués dans un climat géopolitique incertain) ne peuvent pas non plus être entièrement recouvrés.
Le degré de différenciation et de substituabilité des produits sur les marchés mondiaux et nationaux.
Un produit hautement différencié (p. ex., la viande biologique) est plus susceptible de récupérer des coûts grâce à son prix de vente qu’un produit moins différencié (p. ex., les céréales fourragères).
Coûts de transport et de transaction.
Calculés dans le coût des matières brutes, ils peuvent varier indépendamment des fluctuations des prix des matières brutes seules.
En conclusion
La période allant de 2019 à 2022 a été marquée par une volatilité et une inflation considérables des prix de tous les intrants agricoles de base, tant pour les exploitants agricoles que pour les transformateurs. Chaque hausse des prix des intrants a contribué à faire grimper les prix des aliments. Bien que la manière dont ces augmentations sont répercutées du producteur au transformateur ne soit pas évidente, une chose est claire : déterminer la source de l’inflation alimentaire est un processus complexe et ambigu. Alors, à la prochaine fête à laquelle vous assisterez, si quelqu’un vous demande pourquoi les prix sont si élevés, vous pourrez donner la réponse préférée des économistes : « Eh bien, cela dépend ».
L’article « Inflation des prix des aliments et hausse des coûts des intrants pour les exploitants agricoles et les transformateurs d’aliments : y a-t-il un lien entre les deux? » est la première partie de cette série.
Rédactrice économique
Membre de l’équipe des Services économiques depuis 2013, Martha Roberts est une spécialiste en recherche qui étudie les risques et les facteurs de réussite pour les producteurs agricoles et les agroentreprises. Martha compte 25 années d’expérience dans la réalisation de recherches qualitatives et quantitatives et la communication des résultats aux spécialistes de l’industrie. Elle est titulaire d’une maîtrise en sociologie de l’Université Queen’s à Kingston, en Ontario, et d’une maîtrise en beaux-arts en écriture non fictive de l’Université de King’s College.