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Inflation des prix des aliments et hausse des coûts des intrants pour les exploitants agricoles et les transformateurs d’aliments : y a-t-il un lien entre les deux?

15 nov. 2022
10 min de lecture

Voici le premier de deux billets qui portent sur la répercussion des prix dans le secteur agroalimentaire. Selon la théorie, les prix que reçoivent les transformateurs d’aliments pour les produits de porc et les produits laitiers réagissent aux pressions sur les coûts des intrants des agriculteurs.

Dans un environnement où les prix des produits de base sont élevés et volatils, il est pertinent de se demander dans quelle mesure l’augmentation du prix de la fabrication de bacon est attribuable au coût des engrais utilisés pour faire pousser les céréales qui servent à nourrir les porcs dont provient le bacon. Dans ce billet, nous nous penchons sur un lien important dans la chaîne d’approvisionnement — celui entre les producteurs agricoles et les transformateurs d’aliments — pour comprendre comment les pressions inflationnistes contribuent à l’effet de répercussion des prix des producteurs aux fabricants.

L’inflation s’étend à toute la planète

Les prix des aliments, et les sommets qu’ils atteignent aujourd’hui, font couler de l’encre partout sur la planète. L’Indice des prix à la consommation (IPC) de septembre montre qu’en 2022, les prix des aliments ont augmenté de 10,3 % d’une année sur l’autre, ce qui est attribuable en grande partie à l’influence persistante de la pandémie sur la demande et l’offre. D’une part, la demande refoulée par la pandémie a fait grimper les prix des produits de base en flèche dans certains cas, d’autre part, les goulots d’étranglement de l’offre ont été exacerbés par des perturbations liées aux conditions météorologiques extrêmes et aux troubles géopolitiques, notamment.

Pour les exploitations agricoles, les coûts des intrants ne cessent d’augmenter depuis 2019. Des questions légitimes se posent au sujet de la répercussion des coûts de la ferme aux fabricants de produits alimentaires, à l’autre bout de la chaîne d’approvisionnement. Quelle proportion des coûts des exploitants agricoles est répercutée aux fabricants? Ces coûts se répercutent-ils rapidement, dès qu’ils sont engagés, ou y a-t-il un décalage? Quelles autres hausses de coûts s’appliquent pour les fabricants, et comment évoluent-elles?

La répercussion des prix désigne l’effet des prix dans un marché sur les prix dans un autre marché.

La présente analyse repose sur des données provenant de trois ensembles de données de Statistique Canada.

  • L’Indice des prix des produits agricoles (IPPA) mesure les prix que reçoivent les agriculteurs canadiens pour les produits agricoles qu’ils produisent et qu’ils vendent.

  • L’Indice des prix des matières brutes (IPMB) mesure la variation des prix des matières brutes qu’achètent les fabricants qui exercent leurs activités au Canada en vue d’une transformation subséquente.

  • L’Indice des prix des produits industriels (IPPI) mesure la variation des prix des principaux produits vendus par les fabricants qui exercent leurs activités au Canada.

Forte hausse des coûts de production dans le secteur agricole depuis 2019

La figure 1 illustre la hausse marquée des coûts dans l’ensemble des exploitations agricoles entre 2019 et 2022. Si les coûts ont augmenté dans toutes les principales catégories d’intrants au cours des trois dernières années et demie, les coûts des aliments pour animaux, du carburant et de l’engrais, en particulier, ont explosé.

Figure 1 : Les aliments pour animaux, le carburant et les engrais sont en tête de l’indice d’inflation

Graphique montrant le figure 1 : Les aliments pour animaux, le carburant et les engrais sont en tête de l’indice d’inflation

Source : Indice des prix des entrées dans l’agriculture de CANSIM – Tableau 18-10-0258

À la fin du mois de juin 2022, les coûts du carburant avaient grimpé de plus de 80 % par rapport à leur niveau du premier trimestre de 2019, tandis que les coûts moyens de l’engrais et des aliments pour animaux avaient presque doublé (ou plus que doublé dans le cas de certains types d’engrais). Même s’ils n’ont pas atteint les mêmes sommets, les coûts de la machinerie et des pesticides ont aussi augmenté, ce qui se traduit par une croissance globale de 25 % des coûts des intrants agricoles. Et à la fin du mois de septembre 2022, le coût de la main-d’œuvre agricole (non illustré) avait bondi de presque 13 % par rapport aux niveaux de janvier 2019.

Dans le secteur de la transformation, les prix que paient les fabricants pour les matières brutes sont en hausse, parallèlement à d’autres coûts. D’après les données sur la performance financière d’Industrie Canada, les achats de matières brutes et les sous-contrats dans le secteur de la transformation des produits laitiers (pour les entreprises qui enregistrent des recettes inférieures à 20 millions de dollars) ont représenté près de 60 % des recettes enregistrées en 2020. Les salaires totaux (des employés salariés et des employés rémunérés à l’heure) ont augmenté en moyenne de 10,6 % annuellement entre 2019 et 2022.

Dans ce billet, nous examinons la mesure dans laquelle les tensions inflationnistes liées aux intrants agricoles (prix des céréales) se répercutent sur les fabricants qui transforment le lait non transformé en produits laitiers et les porcs maigres en produit de porc.

La répercussion des prix dans une chaîne d’approvisionnement soumise à la gestion de l’offre

En 2022, les transformateurs paient un prix plus élevé aux producteurs laitiers pour les composants du lait non transformé qu’au début de 2019, ce qui résulte principalement de la répercussion de la forte hausse des prix des aliments pour animaux. La croissance des prix payés pour les céréales selon l’Indice des prix des produits agricoles (IPPA) est étroitement liée (dans une proportion de 94 %) à la fluctuation de l’Indice du lait non transformé selon l’IPPA, alors il n’est pas surprenant qu’une autre hausse des prix du lait soit prévue pour février 2023, dans la mesure où les dépenses continuent d’augmenter.

La figure 2 illustre la faible volatilité des prix des céréales pendant toute l’année 2019 et la majeure partie de 2020, ainsi que les fluctuations marquées des prix en 2021 et durant la première moitié de 2022.

Figure 2 : L’inflation des coûts de l’alimentation des vaches laitières se reflète dans les prix du lait non transformé

Graphique montrant le figure 2 : L’inflation des coûts de l’alimentation des vaches laitières se reflète dans les prix du lait non transformé

Toutefois, les prix accrus des céréales ne devraient pas entraîner les mêmes mesures inflationnistes pour le lait cru pour les producteurs ou les transformateurs. Leur impact dépend de la proportion des coûts totaux qu’ils représentent : dans le secteur laitier, les coûts de l’alimentation représentent environ le quart des coûts totaux (non indexés). Étant donné que des intrants autres que les céréales sont utilisés dans la production de lait brut à la ferme (comme l’illustre la figure 1), chacun étant soumis à des tensions inflationnistes, l’inflation marquée des prix des céréales n’avait d’égal que la tendance inflationniste des prix du lait.

Néanmoins, les douze derniers mois ont été difficiles parce que, en plus de l’augmentation des prix des céréales, d’autres coûts de production sont aussi en hausse. Selon la Commission canadienne du lait, en tenant compte de l’indexation de juin 2022, le coût des rations alimentaires des vaches laitières a augmenté de 22 % depuis 2021, celui du carburant et du pétrole, de 66 %, et celui de l’engrais et des herbicides, de 35 %. Les coûts des réparations de la machinerie et de l’équipement et d’autres coûts divers ont aussi augmenté.

Figure 3 : Les prix plus élevés du lait cru correspondent à une hausse des prix des produits du lait de transformation

Graphique montrant le figure 3 : Les prix plus élevés du lait cru correspondent à une hausse des prix des produits du lait de transformation

Les fabricants de produits laitiers sont eux aussi confrontés à de fortes tensions inflationnistes. En août, le nombre record de postes vacants dans le secteur de la fabrication de produits alimentaires a fait grimper la rémunération hebdomadaire des employés (sauf les heures supplémentaires) de 14,2 % en glissement annuel. Les prix de l’énergie, des bâtiments et d’autres matériaux ont augmenté considérablement. En conséquence, l’Indice des prix des produits industriels (IPPI) a augmenté de 13 % depuis janvier 2019 (figure 3). Les hausses du prix du lait qu’achètent les fabricants sont en corrélation étroite (à 94 %) avec les fluctuations des prix qu’ils reçoivent pour les produits laitiers transformés.

Répercussion des prix dans la chaîne d’approvisionnement du secteur porcin

À l’échelle des exploitations agricoles, la hausse des prix des céréales est la même pour tous les secteurs, qu’ils soient soumis à la gestion de l’offre ou non. Toutefois, comme le secteur porcin est confronté à une plus grande volatilité des prix reçus pour les porcs vivants, l’évolution de ces prix est moyennement corrélée (à 57 %) à celle des coûts des aliments pour animaux (figure 4).

Figure 4 : Les prix du porc affichent une plus grande volatilité que ceux des céréales

Graphique montrant le figure 4 : Les prix du porc affichent une plus grande volatilité que ceux des céréales

Entre janvier 2019 et octobre 2021, même les plus fortes baisses des prix des porcs ont réussi à rester le plus souvent au-dessus des tensions inflationnistes faibles mais croissantes des prix des céréales. Et à mesure que les prix des céréales ont augmenté, le prix du porc a évolué de manière étroitement corrélée, bien qu’avec une plus grande volatilité, jusqu’en octobre, lorsque les prix des céréales ont continué à augmenter et que les prix du porc ont chuté. Depuis, la tendance à la hausse des coûts des aliments pour animaux surpasse la fluctuation des prix du porc.

Les coûts de l’alimentation représentent la plus grande partie des coûts de production du secteur porcin. Les modèles des Services économiques FAC indiquent qu’à mesure que les coûts de l’alimentation augmentent, ils représentent une part grandissante du coût total de la production porcine. En 2019, ils représentaient 60,8 % des coûts totaux; en 2022, cette proportion atteint 65,5 %, et les coûts totaux augmentent eux aussi.

La tendance générale de l’évolution des prix payés aux producteurs de porcs se reflète dans la fluctuation des prix reçus pour le porc transformé (p. ex., le jambon et le bacon) ainsi que le porc frais et le porc congelé (figure 5).

Figure 5 : Les tendances inflationnistes dans la chaîne d’approvisionnement du porc sont souvent divergentes

Graphique montrant le figure 5 : Les tendances inflationnistes dans la chaîne d’approvisionnement du porc sont souvent divergentes

L’indice des porcs selon l’IPMB est moyennement corrélé (à 54 %) à l’indice des produits de porc transformés selon l’IPPI et faiblement corrélé (à 22 %) à l’indice des produits de porc frais et congelé selon l’IPPI. Pendant la plus grande partie de 2019 et entre mars et novembre 2021, l’inflation des prix des porcs vivants a largement excédé l’inflation des prix du porc transformé, du porc frais et du porc congelé. Toutefois, il y a eu plusieurs périodes (p. ex., entre mai 2020 et mars 2021) où l’inflation des prix du porc transformé selon l’IPPI a excédé l’inflation de l’IPBM.

En conclusion

L’inflation des coûts de la main-d’œuvre et des intrants (principalement les aliments pour animaux, le carburant et l’engrais) se répercute sur les prix payés plus loin dans les chaînes d’approvisionnement. Toutefois, ces répercussions sont inégales, surtout si l’on compare les secteurs soumis à la gestion de l’offre à ceux qui ne le sont pas. Dans une ère caractérisée par une forte inflation, il faut garder à l’esprit que la répercussion des prix est complexe et soumise à de multiples influences.

Revenez la semaine prochaine pour une explication des facteurs qui influencent la répercussion des prix dans les chaînes d’approvisionnement agroalimentaires du Canada.

Martha Roberts

Rédactrice économique

Membre de l’équipe des Services économiques depuis 2013, Martha Roberts est une spécialiste en recherche qui étudie les risques et les facteurs de réussite pour les producteurs agricoles et les agroentreprises. Martha compte 25 années d’expérience dans la réalisation de recherches qualitatives et quantitatives et la communication des résultats aux spécialistes de l’industrie. Elle est titulaire d’une maîtrise en sociologie de l’Université Queen’s à Kingston, en Ontario, et d’une maîtrise en beaux-arts en écriture non fictive de l’Université de King’s College.