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Hausse des restrictions à l’exportation – quels sont les risques et les débouchés?

7 juin 2022
6 min de lecture

La guerre en Ukraine amène de nombreux pays à réévaluer des relations commerciales de longue date, étant donné la hausse constante des tensions géopolitiques et des prix des produits agricoles et la baisse des exportations de céréales et de pétrole au départ de la mer Noire. Nous connaissons maintenant une ère nouvelle marquée par le changement des tendances commerciales et de plus en plus de préoccupations sur la sécurité alimentaire. Face à cette situation, certains pays imposent des restrictions à l’exportation de denrées alimentaires et d’intrants agricoles nécessaires à leur production.

Inflation des prix des produits alimentaires et sécurité alimentaire

Qu’est-ce qui justifie les restrictions accrues imposées aux exportations? La réponse est simple : l’inflation des prix des produits alimentaires (figure 1). Au cours des deux dernières périodes au cours desquelles l’inflation des prix des produits alimentaires a été aussi élevée, de nombreux pays en développement et sous-développés ont été aux prises avec des troubles politiques et civils :

  • La crise alimentaire de 2007-2008 a été marquée par une inflation des prix des produits alimentaires qui s’est maintenue au-dessus de 20 % pendant 16 mois, atteignant même un sommet de 64 % en mars 2008. Le Programme alimentaire mondial estime que 48 pays ont été la scène d’émeutes de la faim pendant cette période.

  • En 2010-2011, l’inflation des prix des produits alimentaires a dépassé 20 % pendant 12 mois et a atteint un sommet de 41 % en avril 2011. Le coût élevé des denrées alimentaires a été l’un des principaux facteurs du mouvement du « printemps arabe » de 2011.

  • Nous connaissons une inflation des prix des produits alimentaires dont le taux dépasse 20 % depuis 14 mois, culminant à 41 % en mai 2021. Elle était en baisse avant la guerre en Ukraine, mais est en hausse depuis trois mois.

Figure 1 : L’inflation des prix des produits alimentaires mondiale atteint son plus haut sommet des dix dernières années

Figure 1 affichée : L’inflation des prix des produits alimentaires mondiale atteint son plus haut sommet des dix dernières années.

Source : Indice des prix alimentaires selon l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO).

Selon l’Institut international de recherche sur les politiques alimentaires (IFPRI), 30 pays ont imposé des restrictions à l’exportation de denrées alimentaires et d’engrais depuis l’automne dernier. Ces restrictions se traduisent notamment par des interdictions, des taxes douanières et d’autres méthodes destinées à freiner les exportations. La plupart de ces restrictions ont été annoncées après l’invasion de l’Ukraine (figure 2).

Figure 2 : Nombre d’annonces de restrictions à l’exportation par semaine depuis septembre 2021

Figure 2 affichée : Nombre d’annonces de restrictions à l’exportation par semaine depuis septembre 2021.

Source : Laborde et Mamun, Institut international de recherche sur les politiques alimentaires (IFPRI).

Les restrictions n’ont pas toutes la même portée. Les interdictions générales d’exporter et les interdictions imposées par les grands pays exportateurs ont un impact plus important sur le commerce mondial et les prix.

À surveiller : le marché de l’huile végétale

Il importe de surveiller de près le marché de l’huile végétale – qui est en pleine évolution. Les prix ont récemment connu une flambée sans précédent. Les huiles végétales sont une source calorique essentielle dans le monde entier et représentent 11 % des calories consommées à l’échelle mondiale. Depuis 1970, les pays en voie de développement ont triplé leur consommation d’huiles végétales, réduisant ainsi considérablement les insuffisances caloriques [en anglais seulement].

Il est à noter que 41 % de la production mondiale d’huile végétale est négociée – les principaux exportateurs s’étant dernièrement retirés du marché. La guerre a entraîné ce retrait, l’Ukraine et la Russie étant les deux principaux exportateurs mondiaux d’huile de tournesol. À la fin du mois d’avril, l’Indonésie a annoncé l’interdiction d’exporter l’huile de palme, puis l’a levée trois semaines plus tard. Ces changements de cap ont une incidence considérable puisque l’huile de palme indonésienne représente 32 % de l’ensemble des huiles végétales négociées (figure 3).

Figure 3 : L’huile de palme indonésienne domine le marché d’exportation des huiles végétales

Figure 3 affichée : L’huile de palme indonésienne domine le marché d’exportation des huiles végétales.

Source : USDA PSD.

La flambée des prix des huiles végétales et l’incertitude marquant les politiques commerciales soulèvent deux questions importantes : qui sont ceux qui ont besoin le plus d’huiles végétales, et peuvent-ils se la payer? Certaines des plus grandes économies mondiales mèneront la guerre de surenchères pour l’huile végétale (figure 4).

Figure 4 : Les 5 principaux pays et régions économiques connaissant un déficit d’huile végétale
(Les valeurs correspondent à des moyennes sur cinq ans, de 2017-2018 à 2021-2022.)
Figure 4 affichée : Les 5 principaux pays et régions économiques connaissant un déficit d’huile végétale.

Source : USDA PSD.

Cependant, de nombreux pays ne produisent pas d’huile végétale et, par conséquent, leur consommation est entièrement tributaire des importations. Ils seront les plus touchés par la flambée des prix dans le monde entier, car ils figurent parmi ceux qui ont le moins les moyens de se la procurer (figure 5).

Figure 5 : Consommation annuelle d’huile végétale des pays non producteurs
(Les valeurs de consommation correspondent à des moyennes sur cinq ans, de 2017-2018 à 2021-2022. Seuls les 10 pays en tête de liste sont répertoriés.)
Figure 5 affichée : Consommation annuelle d’huile végétale des pays non producteurs.

Sources : USDA PSD et la Banque mondiale.

Le département de l’Agriculture des États-Unis (l’USDA) estime qu’il y aura un rebond vigoureux de l’approvisionnement en huile végétale en 2022-2023 grâce à la forte production d’huile de soja aux États-Unis et en Amérique du Sud et d’huile de canola au Canada et dans l’UE. La demande devrait augmenter moins vite que la production, de sorte que les stocks en fin d’année devraient augmenter en 2022-2023.

La situation est semblable pour le marché du blé, considérant, d’une part, que la Russie et l’Ukraine en sont de grands exportateurs et, d’autre part, que l’Inde réduit ses exportations.

Que signifie tout cela?

Les restrictions à l’exportation peuvent créer un cercle vicieux : l’inflation des prix des produits alimentaires entraîne des interdictions d’exportation qui, à leur tour, font augmenter cette inflation. D’autres restrictions à l’exportation pourraient être annoncées si les prix continuent de grimper.

Les restrictions à l’exportation peuvent accroître les approvisionnements domestiques et faire baisser les prix sur le marché national, mais les preuves sont partagées [en anglais seulement]. Cependant, ces politiques occasionneront des coûts. La baisse des prix dissuade la production, car elle réduit les revenus des producteurs nationaux. À l’échelle mondiale, les restrictions à l’exportation entraînent une hausse des prix mondiaux. Pour d’autres pays, notamment ceux à faibles revenus, ces restrictions sont synonymes d’une insécurité alimentaire accrue et peuvent créer des conditions propices aux troubles civils. Ce serait déjà le cas selon de récents rapports. Les pays développés sont mieux placés pour faire face à la hausse des prix des denrées alimentaires.

La montée du protectionnisme n’est généralement pas associée à des débouchés accrus pour les secteurs qui ne sont pas limités sur le plan transfrontalier, comme l’agriculture canadienne. Les restrictions à l’exportation peuvent tout de même constituer des débouchés pour les grands pays de production agricole. Ces débouchés peuvent être de courte durée puisque les restrictions finiront par être levées. La volte-face de l’Indonésie sur les exportations d’huile de palme est un bon exemple de la rapidité avec laquelle les politiques peuvent changer. En supposant que les questions de logistique soient réglées et qu’il y ait un rebond de la production en 2022, il ne manquera pas d’acheteurs de produits agricoles canadiens dans la prochaine année. Une forte production en 2022 contribuerait également à apaiser les préoccupations en matière de sécurité alimentaire.

x.com/Graeme_Crosbie
Graeme Crosbie

Économiste principal

Graeme Crosbie est économiste principal à FAC. Ses domaines d’intérêt portent notamment sur l’analyse et les perspectives macroéconomiques et sur l’analyse et la surveillance de l’industrie agroalimentaire canadienne. Ayant grandi sur une ferme laitière dans le sud de la Saskatchewan, il formule à l’occasion des observations sur la santé de l’industrie laitière du Canada.

Graeme est employé à FAC depuis 2013 et a consacré la plus grande partie de ces années à la gestion du risque. Il détient une maîtrise en gestion avec spécialisation en économie financière de l’Université de Cardiff ainsi que le titre d’analyste financier agréé (CFA).