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Faire tomber les barrières : les femmes dans l’agriculture canadienne

13 min de lecture
Une personne portant une chemise verte à carreaux tient des gants de travail devant des silos à grains.

Les femmes jouent un rôle essentiel dans l’agriculture canadienne, mais elles sont confrontées à d’importants obstacles à la participation. Le manque de ressources et de reconnaissance entraîne une sous-représentation des femmes parmi les exploitants agricoles et dans les postes de direction au sein des entreprises et des organisations agricoles. En raison du déficit croissant de compétences dans le secteur agricole, il est impératif de renforcer l’équité entre les sexes et d’assurer une participation accrue des femmes à tous les aspects de l’agriculture. 

Nous estimons que l’atteinte de l’équité en matière de revenus (c’est-à-dire des exploitantes agricoles gagnant des revenus moyens équivalents à ceux des exploitants masculins) ajouterait cinq milliards de dollars à la contribution de l’agriculture au PIB. L’atteinte de la parité hommes-femmes dans le nombre d’exploitants agricoles amplifierait ces avantages économiques. La reconnaissance de la contribution actuelle des femmes pourrait en inciter d’autres à se lancer dans l’industrie, ce qui en soi est tributaire de l’importance égale que l’on accorde à la contribution des femmes par rapport à celle des hommes. Nous estimons qu’il faudra compter près de 88000 exploitantes agricoles supplémentaires pour atteindre la parité entre les genres d’ici 2026 - 75 % d’entre elles sont déjà agricultrices mais ne sont pas reconnues comme exploitantes et 25% d’entre elles devront être de nouvelles arrivantes.

La situation des femmes en agriculture aujourd’hui 

Au cours de la période de 30 ans allant de 1991 à 2021, le pourcentage d’exploitantes agricoles au Canada est passé de 25,7 % à 30,4 % (figure 1). Cette tendance à la hausse devrait se poursuivre et on prévoit que la proportion d’exploitantes agricoles atteindra 31,1 % d’ici 2026. Bien qu’encourageante, il est important de noter que cette tendance s’explique surtout par le fait que les hommes quittent l’industrie et non par une hausse du nombre de femmes qui font leur entrée dans celle-ci. Les consolidations d’exploitations et le vieillissement de la population agricole ont réduit le nombre total d’exploitants agricoles au Canada au fil du temps, le nombre d’hommes diminuant plus rapidement que le nombre de femmes. Ainsi, si la proportion d’agricultrices est en constante augmentation, le nombre réel de femmes dans le secteur n’a pas tellement progressé. En fait, entre 2016 et 2021, le nombre d’exploitantes agricoles a augmenté pour la première fois depuis 1991, mais seulement de 2,5 %, soit moins de 2 000 exploitantes agricoles supplémentaires. En outre, les femmes demeurent moins susceptibles d’être les seules à prendre des décisions au sujet de l’exploitation.

Figure 1 : Ventilation par sexe des exploitants agricoles au Canada – femmes et hommes, 1991-2026p1

Graphique montrant la proportion d’exploitants agricoles masculins et féminins au Canada au fil du temps, des années de recensement 1991 à 2021 avec une projection jusqu’en 2026. Le graphique montre une diminution constante du nombre d’exploitants masculins et féminins au fil du temps, le nombre d’exploitants masculins diminuant un peu plus rapidement, ce qui fait augmenter la proportion d’exploitantes.

1 p=prévision

Sources : Statistique Canada, calculs effectués par FAC

Les exploitantes agricoles sont confrontées à des situations économiques très différentes de leurs homologues masculins. Les exploitantes ont tendance à avoir de plus petites exploitations et des revenus agricoles moindres. La fourchette médiane du revenu d’exploitation agricole est la même pour les hommes et les femmes, à savoir de 50 000 $ à 99 999 $ (figure 2). Mais environ 58,6 % des exploitantes agricoles travaillent dans des exploitations ayant déclaré des revenus inférieurs à 100 000 $, contre 51,1 % des exploitants masculins, selon les dernières données de recensement (2021). À l’inverse, seulement 17,9 % des exploitantes agricoles travaillaient dans des exploitations dont les revenus étaient supérieurs ou égaux à 500 000 $, contre 21,9 % de leurs homologues masculins. Ces dernières années, les femmes ont gagné du terrain dans les marchés présentant une valeur élevée pour des produits tels que le bœuf, la volaille et les œufs. Les hommes continuent de dominer le marché des céréales et des oléagineux (figure 3).

Figure 2 : Revenu d’exploitation total pour les femmes et les hommes – Canada, 2021

Graphique montrant le pourcentage de femmes et d’hommes exploitants agricoles au Canada qui entrent dans trois catégories de revenus d’exploitation agricole : De 0 à 99 999 $, de 100 000 à 499 999 $ et 500 000 $ et plus. Elle montre qu’une plus grande proportion d’exploitantes se situe dans la catégorie de revenu la plus faible et qu’une plus grande proportion d’exploitants se situe dans la catégorie de revenu la plus élevée.

Sources : Statistique Canada, calculs effectués par FAC

Figure 3 : Types d’exploitations agricoles dirigées par des femmes et des hommes – Canada, 2021

Graphique montrant la proportion de femmes et d’hommes et qui dirigent différents types d’exploitations. Voici les catégories de types d’exploitations agricoles : l’élevage de bovins de boucherie, y compris les parcs d’engraissement; les bovins laitiers et la production de lait; l’élevage de porcs; la production de volailles et d’œufs; d’autres productions animales; les oléagineux, les céréales, les légumes, les fruits et les autres cultures (y compris la serriculture). Les tendances sont examinées dans le texte.

Sources : Statistique Canada, calculs effectués par FAC

Dans leurs propres mots : les obstacles auxquels se heurtent les Canadiennes en agriculture 

À l’automne 2024, FAC a interrogé des femmes travaillant dans le secteur agricole canadien pour connaître leur expérience. Dans l’ensemble, ces productrices estiment que les choses évoluent lentement dans la bonne direction. Néanmoins, les femmes se heurtent encore à des obstacles qui les empêchent de participer pleinement à l’agriculture.

1. Normes de genre dans l’industrie

La société s’attend encore à ce que les agriculteurs soient masculins. Dans de nombreuses familles d’agriculteurs subsiste un stéréotype voulant que l’homme soit désigné comme « l’agriculteur », tandis que la femme est appelée « femme d’agriculteur ». Les filles qui grandissent dans des familles d’agriculteurs ne se sentent peut-être pas encouragées à participer aux aspects les plus opérationnels de l’agriculture. Cette socialisation précoce peut influencer la façon dont les femmes perçoivent leur rôle dans l’exploitation et la confiance qu’elles auront à participer à tous les aspects de l’agriculture à l’âge adulte. Par ailleurs, on attend généralement des femmes qu’elles assument davantage de responsabilités domestiques et liées à l’éducation des enfants et souvent qu’elles assurent la stabilité économique de leur famille grâce à un emploi hors de l’exploitation, ce qui rend plus difficile leur participation au travail de production.

2. Dévalorisation des connaissances, des compétences et des contributions des femmes

Les femmes ont indiqué qu’elles ont souvent l’impression de devoir prouver qu’elles sont aussi qualifiées, compétentes et capables que leurs homologues masculins, et qu’elles se sentent souvent jugées moins compétentes en raison de leur sexe. Et que les rôles non liés à la production majoritairement occupés par les femmes – comme la comptabilité ou la direction financière – sont souvent considérés comme moins importants que les rôles opérationnels qui tendent à être à prédominance masculine.

3. Accessibilité des ressources

Les hommes ont plus de chances d’hériter de l’exploitation agricole que les femmes, car la tradition veut que ces ressources soient transmises de père en fils. Les femmes sont souvent exclues de la planification de la relève et, dans une large mesure, on attend toujours d’elles qu’elles épousent un membre d’une famille d’agriculteurs si elles souhaitent participer à l’agriculture.

4. Obstacles physiques

De nombreux aspects de l’agriculture n’ont pas été conçus pour les femmes. Par exemple, la conception de la plupart des équipements agricoles est adaptée au physique masculin, et ces limites de conception peuvent rendre plus difficile la participation des femmes aux aspects physiques de l’agriculture.

5. Manque de représentation

De nombreuses femmes ont déclaré que leur vision de leur propre potentiel avait été façonnée par les représentations observées dans leur enfance, à savoir que les hommes prenaient habituellement les décisions dans l’exploitation agricole et que les femmes jouaient un rôle de soutien. Le manque de représentation du leadership féminin en agriculture peut faire en sorte qu’il soit difficile pour les jeunes femmes de se sentir confiantes dans leur capacité à assumer des rôles de direction.

6. Manque de réseaux et de soutien

Les agricultrices sont plus isolées que leurs homologues masculins, et elles ont moins accès aux réseaux, au mentorat et à du soutien. Comme l’agriculture demeure un secteur à prédominance masculine, la plupart des postes supérieurs ou des sièges de conseil d’administration continuent d’être occupés par des hommes. Les femmes ont généralement moins accès à un réseau de pairs partageant les mêmes luttes, sur lesquels elles peuvent s’appuyer pour obtenir soutien et conseils, et elles sont souvent la seule femme dans la pièce. Cela peut être à la fois difficile et intimidant. Les femmes sont également confrontées à des obstacles qui les empêchent d’assister à des événements de réseautage en personne, car elles doivent souvent jongler avec la garde des enfants et le travail en dehors de l’exploitation.

Les femmes sont en bonne position pour devenir les futures leaders du système alimentaire canadien  

Les besoins en main-d’œuvre de l’industrie agricole canadienne évoluent. À l’ère de l’agriculture numérique et de la prise de décision fondée sur les données, il existe un besoin croissant de main-d’œuvre agricole hautement qualifiée. Ce besoin s’est traduit par une tendance générale à la hausse du niveau d’éducation de la main-d’œuvre agricole au cours des quelques dernières années. On note également une diminution du nombre de travailleurs sans qualifications formelles et une augmentation du nombre de travailleurs titulaires d’un diplôme collégial ou universitaire. Cette tendance est encore plus marquée chez les femmes, qui sont plus susceptibles d’être plus instruites que leurs homologues masculins. En 2021, près du quart (23,5 %) des exploitantes agricoles possédaient au moins un baccalauréat, contre seulement 14,5 % des exploitants masculins (figure 4). Et la proportion de femmes exploitantes agricoles sans aucune formation formelle n’était que de 9,3 %, ce qui est nettement moins que le pourcentage observé (18,2 %) chez les exploitants agricoles masculins. L’écart actuel de niveau de scolarité entre les exploitants agricoles féminins et masculins est le plus marqué parmi les exploitants âgés de 30 à 39 ans; dans cette tranche d’âge, 36 % des femmes ont suivi une formation universitaire, contre seulement 17 % des hommes.

Figure 4 : Niveau de scolarité des exploitants agricoles au Canada – femmes et hommes, 2021

Graphique montrant le niveau de scolarité des exploitants agricoles féminins et masculins au Canada en 2021. Une proportion plus élevée de femmes sont titulaires d’un baccalauréat ou d’un diplôme supérieur, tandis qu’une plus grande proportion d’hommes n’ont aucun grade, certificat ou diplôme.

Sources : Statistique Canada, calculs effectués par FAC

Un niveau élevé de scolarité permet aux femmes de tirer plus facilement profit des nouveaux outils et des nouvelles technologies agricoles qui s’offrent à elles. Bon nombre de ces innovations permettent de surmonter plus facilement certains des obstacles physiques et sociaux auxquels les femmes travaillant en agriculture se heurtaient par le passé. Un nombre croissant d’exploitantes agricoles adoptent de nouvelles technologies de production, telles que le guidage automatique et les systèmes d’information géographique (SIG). Grâce à ces outils, il est plus facile pour les femmes de concilier vie professionnelle et vie personnelle. Les femmes qui ont un niveau d’éducation élevé sont également bien placées pour être des leaders d’opinion et des championnes de l’industrie agricole, en jouant un rôle de leadership qui dépasse le cadre de l’exploitation.

Les femmes qui œuvrent en agriculture continuent également de démontrer un fort esprit d’entreprise, mettant à profit leurs compétences et leur expertise pour accroître la valeur de leurs produits. Les femmes sont à l’origine de la nouvelle tendance qui consiste à vendre des produits agricoles directement aux consommateurs et les exploitations dirigées exclusivement ou conjointement par des femmes sont beaucoup plus susceptibles d’adopter cette stratégie de marketing. De plus, un nombre croissant de femmes travaillent dans des exploitations agricoles produisant des produits biologiques et utilisant des sources d’énergie et des technologies durables. Les femmes se taillent également une place dans des marchés de niche en croissance, comme la production de moutons et de chèvres.

Atteindre l’équité entre les sexes dans l’agriculture canadienne : quelques pistes pour aller de l’avant 

Il reste beaucoup à faire pour parvenir à l’équité entre les sexes dans l’agriculture canadienne. À l’heure actuelle, nous accusons un retard en termes de participation des femmes dans les secteurs du commerce de gros et de détail, des finances, de l’éducation, des soins de santé et dans plusieurs autres industries. Les femmes qui travaillent aujourd’hui en agriculture sont très instruites, motivées et dotées d’un sens aigu des affaires. Elles sont bien outillées pour encourager l’innovation et accélérer l’adoption de nouveaux outils et de nouvelles méthodes et technologies au sein des exploitations agricoles. À une époque où la croissance de la productivité de l’agriculture canadienne stagne, la mise à profit de leurs compétences et de leur esprit d’entreprise permettra aux femmes de récolter des avantages économiques considérables.

Voici quelques stratégies possibles à envisager :

  • Accroître la visibilité des femmes dans l’agriculture. Il est essentiel de reconnaître le travail important que les femmes accomplissent déjà dans les exploitations agricoles et dans les conseils d’administration partout au Canada.

  • Accroître les possibilités de mentorat et de réseautage. Il est ainsi possible de réduire l’isolement et de créer des communautés pour les femmes qui évoluent dans le milieu agricole et agroalimentaire. Des programmes comme AgriMentor, qui jumèlent des agricultrices nouvelles ou déjà établies à des mentores expérimentées, et des événements comme les conférences Advancing Women [en anglais seulement] peuvent favoriser l’établissement de liens utiles, en aidant les femmes à surmonter les obstacles liés au temps et aux coûts auxquels elles sont souvent confrontées lorsqu’elles veulent se constituer un réseau. Les initiatives virtuelles peuvent également contribuer à rendre le réseautage plus accessible. Le projet « Réseau national des femmes en agriculture et en agroalimentaire » [en anglais seulement] est un exemple de réseau en pleine expansion qui met en rapport les femmes en agriculture par le biais d’initiatives en personne et virtuelles.

  • Veiller à ce que les femmes aient des chances égales d’assumer des rôles de direction. Nous devons non seulement réduire les préjugés sexistes dans l’embauche et les promotions mais aussi nous assurer que les femmes sont soutenues lorsqu’elles assument des fonctions de leader quand l’occasion se présente, en leur donnant accès entre autres à des modalités de travail flexibles et à des services de garde des enfants.

  • Améliorer l’accès aux ressources. Les femmes ont historiquement été exclues de la planification de la relève et de l’égalité d’accès à la terre et au capital. Les programmes qui aident les femmes à accéder aux ressources dont elles ont besoin pour démarrer leur entreprise agricole sont essentiels pour aller de l’avant. Le programme Femme entrepreneure de FAC en est un exemple. Un changement culturel plus vaste visant à inclure les femmes dans la planification de la relève est également nécessaire pour briser ce cycle d’exclusion intergénérationnel. Nous constatons lentement des progrès à cet égard, avec la participation accrue de femmes dans la planification du transfert d’exploitations agricoles [en anglais seulement].

En exploitant les forces et le potentiel des femmes en agriculture, il est possible de générer cinq milliards de dollars en retombées économiques pour l’industrie agricole. L’atteinte de l’équité entre les genres peut stimuler l’innovation, améliorer la productivité et favoriser la durabilité, ce qui permettra à l’industrie agricole d’être plus résiliente et prospère. Ensemble, nous pouvons cultiver un avenir dans lequel chacun peut apporter sa contribution et s’épanouir, en créant une communauté agricole dynamique et inclusive qui profite à tous.

Article par: Bethany Lipka, analyste, Veille stratégique, et Isaac Kwarteng, économiste principal